Snuff avant l’heure
Le 24 février 2024
Classique incontournable, incompris en son temps, Le voyeur est un thriller psychologique palpable et déroutant, qui titille notre réflexion et le sens que l’on donne à l’art qu’est le cinéma... Culte.


- Réalisateur : Michael Powell
- Acteurs : Esmond Knight, Anna Massey, Nigel Davenport, Moira Shearer, Karlheinz Böhm, Maxine Audley, Brenda Bruce, Keith Baxter, Shirley Ann Field
- Genre : Drame, Policier / Polar / Film noir / Thriller / Film de gangsters, Thriller, Épouvante-horreur, Film culte
- Nationalité : Britannique
- Distributeur : Universal - StudioCanal, Les Acacias
- Durée : 1h31mn
- Date télé : 8 août 2024 23:50
- Chaîne : TCM Cinéma
- Reprise: 13 mars 2024
- Box-office : 159 444 entrées France / 122 271 entrées Paris Périphérie
- Titre original : Peeping Tom
- Date de sortie : 27 septembre 1960
- Plus d'informations : Histoire du Polar au cinéma
- Festival : L’Étrange Festival 2012
Résumé : Mark Lewis est un jeune homme énigmatique et solitaire, passionné d’image jusqu’à l’obsession. Opérateur caméra dans un studio de cinéma, il fait aussi des extras comme photographe de charme dans la boutique d’un marchand de journaux. Son appartement est un immense laboratoire rempli de matériels, d’appareils, de chimie. Là, il développe et visionne seul ses propres films à longueur de temps. La caméra toujours à portée de main, Mark Lewis dit tourner un documentaire mais il s’emploie en réalité à une démarche bien plus morbide : il traque la peur de la mort dans le visage de jeunes femmes…
Critique : Techniquement prodigieux (caméra subjective novatrice, utilisée de manière remarquable), l’hommage que Michael Powell rendait au cinéma était sûrement trop en avance sur son temps pour être compris par ses contemporains.
À travers un personnage schizophrène, qui refuse de vivre sa vie et préfère en fantasmer une autre, on découvre le caractère métaphorique incessant de l’œuvre de Powell. Une trame « classique » qui s’associe à une mise en abyme qui l’est moins et recelant de déclarations d’amour au septième art. Cette histoire d’un homme en proie à des pulsions meurtrières, assouvissant ses désirs à l’aide d’une caméra aiguisée, se révèle être pour Powell un (excellent) prétexte scénaristique pour parler de lui à la troisième personne du singulier. Le besoin du jeune cinéaste amateur d’avoir recours à la caméra pour filmer ses meurtres et ainsi atteindre l’orgasme artistique associe le plaisir filmique au sexe, et à l’éternité de la mort, comme si le résultat immortalisait la jouissance.
Dans Le voyeur, l’envie de cinéma du metteur en scène frustré est comparée et transposée à une folie dévastatrice, une envie irrépressible liée à son existence morose (conséquences d’une enfance douloureuse liée à l’autorité paternelle) qui met en péril une vie dépourvue de sentiments jusqu’à la rencontre amoureuse. Une rencontre exploitée intelligemment qui ne viendra pas atténuer pour autant l’aspect amoral de l’histoire.
- © 1960 Michael Powell (Theatre) LTD - Tous Droits Réservés
Le regard porté sur l’impact de l’image n’est pas des moindres. La suggestion est préférée aux scènes insoutenables (que la censure n’aurait de toute façon pas acceptées à l’époque), et pourtant on qualifiera l’œuvre comme étant d’une rare violence, d’une violence psychologique déroutante qui incitera alors le public et une partie de la presse à s’en détourner.
- © 1960 Michael Powell (Theatre) LTD - Tous Droits Réservés
L’intérêt du Voyeur est la mise en abyme de l’inavouable, ce qu’on ne doit ni montrer ni même évoquer : le choquant, l’immoral. L’effet miroir que procure le film s’apparente à un cercle vicieux. Tout est savamment orchestré, les meurtres sont diaboliquement filmés, sauvagement savourés. Powell utilise la musique comme un personnage à part entière. L’inclusion d’une femme aveugle dans le récit confine au génie ; Powell l’associe à l’aspect palpable du film : ce qu’on ne voit pas, nous pouvons le toucher. Et cette femme ressent le mal ambiant et toute l’indécence qui règne autour d’elle. Cette confrontation de la vue à l’absence d’image est une réussite. Une vision métaphorique du cinéma qui pose bon nombre de questions sur ce qu’il est véritablement. Il use de tous les bons procédés pour faire monter la tension jusqu’à son paroxysme final.
- © 1960 Michael Powell (Theatre) LTD - Tous Droits Réservés
L’ensemble fonctionne de bout en bout. En résulte alors une œuvre vénéneuse et intelligente, précise, qui ne laisse rien au hasard en nous offrant des moments de cinéma intenses. Le public lui préfère en 1960 un certain Psychose qui relaya Le voyeur parmi les bides de l’année après une très courte carrière en salle (deux millions d’entrées en France pour le thriller de Hitchcock et à peine 150.000 entrées pour l’œuvre vénéneuse de Powell). Hier maudit, aujourd’hui culte, Le voyeur a réussi depuis à se hisser au rang des plus grands films du genre. Ce n’est que justice.
FA LE VOYEUR (Peeping Tom) de Michael Powell - Version restaurée 4K from Les Acacias Distribution on Vimeo.
JIPI 11 mai 2012
Le voyeur - Michael Powell - critique
Enfant persécuté par des peurs soudaines occasionnées par les expériences nocturnes d’un père biologiste pervers Mark Lewis récupère à son tour un processus d’acharnement en filmant des victimes reproduisant par la terreur des visages identiques au sien devant des expériences similaires.
Une fusion diabolique s’effectue entre un père persécutant les jeunes nuits d’un enfant devenu grand qui à son tour s’acharne jusqu’à la mort sur des cobayes féminines de rencontres.
Malsain et dérangeant « Le voyeur » montre dans un contexte légèrement vieillot la jouissance d’un ancien martyrisé devenu maitre d’un processus l’ayant mis sur le flanc dans son adolescence.
Nos yeux s’incrustent dans cet objectif avançant inexorablement sur celle dont le sourire devant une finalité perçue laisse place à un visage ravagé par la terreur.
« Le voyeur » est un peu daté mais son impact reste prenant surtout dans les yeux dilatés de plaisir d’un disciple du voyeurisme convaincu de l’ampleur des jouissances ressenties suite à l’emploi d’un pouvoir fascinant qu’il détient sur les derniers instants de l’autre dont le sort lui appartient
Une victime devenue bourreau recherche inlassablement dans ses meurtres à capter sur la pellicule sa propre peur celle d’un moi enfantin lointain terrorisé par des expériences brutales.
Un film rare à découvrir