Le 30 août 2005
Eric Paradisi nous parle de La peau des autres.
Nous avions aimé un de ses manuscrits et vous en avions fait lire le premier chapitre sur aVoir-aLire. C’est un autre de ses ouvrages que Gallimard a décidé de publier dans sa prestigieuse collection blanche. Rencontre avec Eric Paradisi.
La peau des autres est un premier roman qu’on sent très personnel mais qui est écrit avec une grande distance, presque un détachement. Est-ce une distance volontaire, voire nécessaire ?
J’aime écrire sur ce qui m’échappe, ce que je ne retrouverai jamais, mais je crois rester toujours près des choses... Dans l’éloignement... Le narrateur agit de la même façon, il est à la fois dans le temps et en dehors du temps, très proche des deux femmes du roman sans qu’elles bouleversent sa vie. En fait, il les observe... La seule personne qui le bouleverse, c’est son père...
Grâce à cette distance, les échanges sonnent si justes qu’on se retrouve presque voyeur, pris dans une intimité (du sexe, de la maladie) qui n’est pas la nôtre. Avez-vous cherché à susciter cette gêne, ce malaise ?
Je ne voulais pas que le texte se réduise à une lecture. Je voulais que l’on ressente les émotions du narrateur, qu’on les visualise jusqu’au trouble... Que ces émotions renvoient à la propre intimité du lecteur. Qu’il accompagne les mots...
Vous avez le don rare d’écrire les silences. Quelle place occupent-ils dans votre univers ?
Le silence me relie toujours à l’enfance, à ces moments où l’on a le sentiment que la vie est en dehors de soi et en soi, qu’il faut écouter ce qui se passe autour de soi et en dedans. Il ne faut pas chercher à comprendre les silences. Il faut se laisser porter par eux.
Pourquoi tant de peau ? Et d’ailleurs, pourquoi la peau ?
J’ai sans doute un lien très intime avec la peau... Pour moi ce n’est pas quelque chose d’organique, c’est avant tout la découverte d’une sensualité... La découverte d’une personne. L’histoire des gens peut se lire sur leur peau... Mon personnage va plus loin, pour lui c’est presque du fétichisme...
Et les bonsaïs, hasard de l’inspiration ou choix symbolique délibéré ?
Les bonsaïs sont "un personnage" à part entière. Ils jouent un rôle essentiel avec les autres personnages tout au long du livre, d’ailleurs le narrateur les considère comme des êtres vivants avec ce quelque chose d’intemporel qui le fascine. Lui-même se décrit comme un homme bonsaï, un homme en branches dont on a coupé les racines. Il ne grandira jamais...
Dans La peau des autres, le sexe est une nécessité, parfois un plaisir, presque jamais du bonheur. Est-ce l’état des lieux d’une sexualité masculine déroutée, contrainte de se réinventer ?
C’est avant tout le point de vue du narrateur. Il désire la peau des femmes et a besoin de leur sexe. Il est dans une recherche de sensualité tout en restant mécanique. C’est à la fois un enfant et un adolescent. A sa manière, il est en train de réinventer une nouvelle sexualité, encore imparfaite, en devenir...
Pour qui écrivez-vous ?
Je crois qu’il faut toujours écrire pour soi si l’on veut toucher les autres.
Propos recueillis à Paris le 27 août 2005
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