Le 30 juillet 2003
Sous un emballage "trash" pénible et déjà vu, une description experte des excès du désir et de la reddition d’une personnalité.
Drogues, sexe, rapports dominants/dominés. Sous un emballage "trash" pénible et déjà vu, une description experte des excès du désir et de la reddition d’une personnalité.
Sur les trottoirs glacés du quartier new-yorkais de Bowery, Mishayita, jeune assistant d’une boîte de production vidéo japonaise, se fait apostropher par un mystérieux compatriote SDF : "Sais-tu pourquoi Van Gogh s’est taillé une oreille ?" Pour le récompenser d’avoir su résoudre son énigme - mais est-ce bien la seule raison ? - le sphinx SDF lui donne un numéro de téléphone à composer quand il sera de retour à Tokyo. "On te donnera de l’argent", promet le sans-abri.
Mais "on" convient vraiment mal pour décrire la magnétique Keiko, "ultime" maîtresse SM au désespoir glacé et, en lieu et place d’argent, Mishayita hérite d’une drogue à expérimenter. Pas n’importe laquelle... L’ecstasy, pilule magique qui "ouvre les cœurs" et dégivre les culs. Au terme d’une éprouvante séance initiatique avec une amante d’occasion, le jeune homme gagne alors le droit - non, l’insigne privilège - de recueillir de visu les confessions de Keiko, le récit de sa relation complexe, passionnée et distante, charnelle et ritualisée, avec le vrai/faux SDF puis son élargissement, appétits vampiriques obligent, à d’autres partenaires, jeunes femmes masochistes qu’il s’agit de soumettre et de "révéler". Tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes SM quand survint Reiko, au corps souple et docile, Reiko, qui absorbe l’énergie et la violence du couple, qui le transforme en trio jusqu’à la séparation, au split, chacun seul de son côté.
Drogue, sexe, sexe, drogue, bondage, humiliations, plus si affinités... Le premier volet de la trilogie de Ryû Murakami sur "le plaisir, la lassitude et la mort" (bâtis autour des mêmes personnages, les prochains épisodes, Melancholia et Thanatos, sortiront fin 2003 puis en 2004) ressasse une mythologie narcotique déjà bien visitée, dans sa dimension "héroïne crade" (Burroughs, Bruce Benderson, Irvine Welsh, Dragan Babich) ou "cocaïne chic" (Breat Easton Ellis, Jay McInerney, Beigbeder et consorts, toutes proportions gardées). Et les gimmicks d’un auteur visiblement fasciné par la déchéance à l’occidentale frisent l’obsolète, un peu comme ces groupes pop nippons toujours à la dernière mode, donc toujours démodés. Reste qu’au-delà de ces maniérismes, l’auteur (qui ne doit pas être confondu avec Haruki Murakami, autre écrivain de l’archipel traducteur de Raymond Carver) décrit très bien, avec une cruauté digne de Tanizaki, divers excès symbiotiques du désir : certains savent l’aiguiser, le fignolent, le raffinent, d’autres capitulent, remplis de honte, et prennent plaisir à se faire humilier. Mishayita, lui, ne tarde pas à découvrir dans quelle catégorie il se range : "Je sentais que mon corps dans sa totalité, à l’exception d’une infime partie, acceptait l’idée de la dissolution de ma personnalité."
Ryû Murakami, Ecstasy (traduit du japonais par Sylvain Cardonnel), Ed. Philippe Picquier, 2003, 305 pages, 18,50 €
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