Voyage inégal entre l’ici et l’au-delà, le présent et le temps suspendu.

Ecrivain britannique installé en Haute-Savoie, John Berger voyage beaucoup. Sur cette terre dont il dénonce, infatigable, les beautés et les travers [1], mais aussi dans des contrées où il croise celles et ceux qui, aujourd’hui disparus, ont marqué sa vie. A commencer par sa mère, qu’il retrouve, tour à tour vieille femme et adolescente amoureuse, à Lisbonne, dans le premier des huit textes et demi de ce recueil. Un Lisboa tendre et léger où les souvenirs familiaux se mêlent à de très belles impressions sur la ville, prouvant toute la finesse du regard d’un auteur attentif au monde, visible ou non.
Les chapitres suivants - où se promènent les fantômes de Borges, de son ami "passeur" qui lui a tout appris, de son premier amour ou de son ancien professeur, tous ombres éclairantes - ne sont pas de la même intensité. La faute, peut-être, à un souci parfois lassant du détail ou à la difficulté de se tenir en équilibre sur ce mince fil tendu entre les morts et les vivants. L’érudition de l’auteur (instructive descente dans la grotte de Chauvet), son sens de l’observation ("Je ne connais aucun odeur qui évoque autant les commencements : matin, enfance, printemps", écrit-il à propos de l’herbe coupée) permettent toutefois de le suivre avec plaisir. Et avec raison : clôturant (presque) D’ici là, l’évocation de la figure du père et du destin des travailleurs immigrés est un subtil hommage à l’Autre. "Le nombre de vies qui pénètrent la nôtre est incalculable", souligne John Berger.