Criminal - la critique des 4 séries

Notre avis : Criminal, la nouvelle série originale Netflix, est un exemple de l’art de transformer une idée « simple » en un véritable carcan. Et nous n’allons pas tourner autour du pot : cette production est l’impressionnante démonstration qu’un carcan peut devenir un écrin.

Le concept ? Une série d’anthologie consacrée à des gardes à vue et des interrogatoires. Sur le papier, a priori, cela ne peut être qu’intéressant, quand bien même le cinéphile averti viendrait rappeler que depuis Garde à vue (1981) de Claude Miller, avec ses quatre César, la barre est plus que haute. Justement, on va la relever la barre, avec la contrainte du genre et une mise en scène idoine, puisque tout se passera exclusivement en huis clos. Pour être plus précis, uniquement dans quatre décors, pas un de plus : la salle d’interrogatoire, l’autre salle derrière le miroir, le bout de couloir pour passer d’une salle à l’autre, et enfin le palier de l’étage avec un simple escalier, un distributeur de boissons et friandises, la porte de l’ascenseur, et une baie vitrée donnant sur un paysage urbain moyennement palpitant. Unique point d’entrée du jour ou de la nuit, les autres décors étant aveugles. Autant vous prévenir : vous ne prendrez jamais l’air !

Dès lors pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ? Visiblement, chez Netflix, on aime bien les défis. En l’espèce, on ne va pas faire une série « locale », mais quatre séries se déroulant en France, Espagne, Angleterre et Allemagne. Quatre fois trois épisodes. Mais on gardera strictement le même ensemble de décors. Là, vous le sentez le carcan ? Et pour l’alourdir, dans chaque pays, cela sera une même équipe de flics qui conduira les interrogatoires, histoire d’y glisser un fil rouge au sein de chaque trilogie.

Nous avons commencé avec Criminal : France (les trois autres sont également disponibles et nous les avons vues). Le premier segment revient sur les attentats du Bataclan, avec l’interrogatoire d’une femme qui semble s’être fait passer pour une des victimes, afin de toucher des indemnités. Si dans le rôle de la fausse (ou vraie) victime, Sara Giraudeau est moins convaincante qu’en Marina Loiseau dans Le Bureau des Légendes, elle livre une prestation troublante, en face d’un Laurent Lucas, flic étrange surveillé derrière la glace par une chef de groupe qui doit faire ses preuves (Margot Bancilhon) et un collègue au bord de la retraite (Stéphane Jobert). Cet épisode pose surtout les bases du carcan et de l’enfer que les réalisateurs des épisodes ont dû subir. Car il ne faut pas rêver : en deux épisodes, on a vite fait le tour des possibilités de champs et contrechamps, des mouvements de caméra réduits à quelques poignées de dizaines de centimètres, du vague travelling pour passer d’une salle à l’autre. Sans oublier les effets à travers le miroir sans tain, séparant les deux salles, et tous les plans de coupe possibles, ici un clavier, là un moniteur où l’on voit le retour caméra de la salle d’interrogatoire, ailleurs un gros plan d’un digicode ou d’un gobelet qui se remplit dans la machine à café, pendant une pause. Bref, un bréviaire, dont n’importe quel réalisateur, aussi brillant soit-il, épuise rapidement toutes les possibilités, n’ayant alors d’autre alternative que de se consacrer à l’essentiel : la direction de ses comédiens et de ses comédiennes.

Criminal ne repose que sur le verbe, à l’exception de quelques photos issues des dossiers, de rares moments pour « prendre l’air », en furtifs gros plans de coupe. Certes, tout se passe par des joutes verbales, et de fait via des « numéros » d’acteurs - plus ou moins égaux selon les épisodes et pays -, mais aussi, et surtout, par des dialogues très narratifs. Si bien que le texte est plus proche de la nouvelle, au sens littéraire, que du théâtre, filmé en l’espèce. Criminal se lit, ou plutôt s’écoute, comme un recueil de petits textes, avec les mêmes mécaniques et astuces du genre : on commence une fois par le milieu, une autre par la fin ; s’agit-il d’un(e) présumé(e) coupable ? D’une victime ? Ou alors ni l’un, ni l’autre ? Mais de quoi parle-t-on au juste ? Etc. Bien entendu les sujets abordés sont très variés, allant des attentats, donc, aux viols, violences familiales, pédophilie, drogue ou immigration clandestine, en passant par des réflexions sur le plafond de verre ou l’homophobie. Enfin, viennent se greffer des sous-intrigues, des petits secrets entre ses flics, autant prisonniers que leurs « invités » dans cette salle d’interrogatoire, à la fois moderne et décrépie.

Criminal, au-delà de ses indiscutables qualité d’écriture et d’interprétation en général, se révèle plus comme un prisme de notre société et de ses maux qu’une simple série policière. À voir et en espérant qu’une nouvelle quadruple saison soit dans les cartons.

Les liens pour accéder aux quatre trilogies et castings complets :
– Criminal : France : ici
– Criminal : Espagne : ici
– Criminal : Royaume-Uni : ici
– Criminal : Allemagne : ici