Au pied du Mont de l’Effroi
Le 14 juin 2011
Règlement de compte ludique avec une enfance réinventée sous forme de kaléidoscope grotesque et poétique, le film de Shüji Terayama est un chef d’oeuvre qui défie toutes les règles établies.
- Réalisateur : Shûji Terayama
- Acteurs : Isao Kimura, Yoshio Harada, Kantarô Suga, Hiroyuki Takano, Kaoru Yachigusa
- Genre : Expérimental
- Durée : 1h44mn (Japon: 1h42mn)
- Titre original : 田園に死す - den.en ni shisu
- Date de sortie : 15 octobre 1975
- Plus d'informations : http://www.ubu.com/film/terayama.html
- Festival : Art Theatre Guild of Japan (ATG) ou La fabrique d’auteurs , Festival de Cannes 1975
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– Sortie au Japon : 28 décembre 1974
– Titre anglais : To die in the country
Règlement de compte ludique avec une enfance réinventée sous forme de kaléidoscope grotesque et poétique, le film de Shüji Terayama est un chef d’oeuvre qui défie toutes les règles établies.
L’argument : Un garçon de quinze ans vit seul avec sa mère dans une vieille maison au pied du Mont de l’Effroi. Il étouffe. Il a envie de prendre le train, de s’en aller au loin, d’abandonner sa mère. Quelquefois, il va bavarder avec son père défunt qui lui parle par la bouche d’une prêtresse du Mont de l’Effroi. Un jour, se mêlant aux gens d’un cirque installé dans le village, il fait la connaissance de la Femme-ballon. Il a de plus en plus envie de partir...
Le garçon porte une admiration inavouée à la jeune mariée de la maison voisine. Quand elle lui propose de s’enfuir avec elle. Au comble de la joie, il est prêt à faire n’importe quoi pour l’accompagner.
Là s’arrête le premier récit autobiographique du cinéaste.
En rentrant chez lui, l’auteur se trouve en présence de lui-même encore enfant, qui lui reproche d’avoir faussé, embelli son passé. Il entreprend alors un voyage à travers son enfance afin de la modifier. Après sa rencontre avec l’enfant qu’il était, il songe à tuer sa mère, mais en se débarrassant de l’existence maternelle, pourra-t-il se libérer vraiment de son existence écoulée ? (Synopsis tiré du dossier de presse original).
Notre avis : Figure de proue de la contre-culture japonaise des années 60 et 70, Shûji Terayama, mort à 47 ans en 1983, laisse une oeuvre foisonnante et multiple (littérature, journalisme, théâtre, photographie, radio, cinéma) qui revendique l’influence de Brecht, mais aussi d’Artaud et de Lautréamont (Les chants de Maldoror, court-métrage de 1977) .
Il remporta à deux reprises, en 1964 et 1965, le prix Italia pour des pièces radiophoniques et sa troupe de théâtre Tenjō Sajiki - Les enfants du Paradis, fondée en 1967, fit des tournées très remarquées en Europe et aux Etats Unis, mais c’est avant tout pour son activité dans le domaine du cinéma qu’il est connu hors de son pays : scénarios pour Masahiro Shinoda et Susumu Hani, nombreux films expérimentaux (visibles sur UbuWeb), dont le plus connu est le sulfureux Empereur Tomato Ketchup (1971, plusieurs versions) et quelques longs métrages ayant connu une distribution en salle tels que Jetons les livres et sortons dans les rues (sorti en France en 1972), Les fruits de la passion (1981, coproduction internationale à la réputation désastreuse) et ce Cache-cache pastoral présenté en compétition officielle au Festival de Cannes de 1975.
Dans ce film, éblouissant collage poétique qui reprend et développe le recueil homonyme publié en 1964, il règle ses comptes avec son enfance (comment s’en débarrasser ?) sur un mode ludique alliant la férocité satirique à un symbolisme visuel d’une richesse et d’une inventivité peu communes.
Au hasard et dans le désordre : rails de chemin de fer (qui jamais ne se rencontrent), horloges (un plan en style nature morte en rassemble une collection impressionnante), visages défigurés par un cache-oeil noir de borgne ou transformés en masques de nô par un maquillage blanc, nature repeinte de couleurs extravagantes, rituels magiques, bestiaire omniprésent (poules, corbeaux) ; la liste pourrait se prolonger indéfiniment, mais tous ces éléments s’articulent et se répondent sans donner jamais l’impression d’un inventaire hétéroclite.
On a souvent évoqué au sujet de Cache-cache pastoral la parenté avec l’univers fellinien. L’évocation des traumatismes de l’enfance par le biais d’un onirisme teinté de grotesque et sa fascination mêlée d’effroi pour le monde du cirque (le personnage drôle et pathétique de la femme poupée-gonflable) font effectivement penser au Maître italien. Mais le japonais est assurément plus avant-gardiste et ses ruptures de ton (l’interruption de la projection en plein milieu ou le plan du chanteur invectivant le spectateur face à la caméra et le menaçant même de mort), sa manière de faire s’entrechoquer les éléments en provenance des sources les plus diverses et les styles les plus hétérogènes (butô, surréalisme, opéra ou comédie musicale) pour célébrer une cérémonie étrange et barbare font plutôt penser à Schroeter (autre admirateur des Chants de Maldoror), Jakubisko ou Paradjanov.
Mais, à vrai dire, le cinéma de Terayama ne ressemble à rien de connu et le cache-cache de la mémoire qui se dérobe et se réécrit sans cesse y prend, aux accords des comptines lancinantes composées par J. A. Seazer (alias Terahara Takaaki), la forme d’un hymne, certes psychédélique mais pastoral quand même, célébrant la terre, la culture, les saisons, le renouveau, la floraison, la Mère... (Terayama dixit), d’une sarabande joyeuse et cruelle, fortement chargée d’érotisme transgressif et marquée du sceau d’une incurable mélancolie (La vie n’est qu’adieux, proverbe chinois cité par le cinéaste dans un entretien).
pour ensevelir
le peigne rouge sang
de ma défunte mère
au Mont de l’effroi je vais
où sans fin souffle le vent
(Extrait d’un poème de Terayama traduit par Alain Colas dans le dossier de presse du film)
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