Foot sans tabous
Le 5 juillet 2011
Premier long-métrage de Terayama hors du circuit expérimental, ce récit d’initiation pathético-grotesque et déjanté déconcerte mais émerveille par sa totale liberté et sa formidable force poétique.

- Réalisateur : Shûji Terayama
- Acteurs : Hideaki Sasaki, Sei Hiraizumi, J.A. Seazer, Masahiro Saito, Yukiko Kobayashi, Fudeko Tanaka, Keiko Niitaka
- Genre : Drame, Musical, Expérimental
- Nationalité : Japonais
- Date de sortie : 22 novembre 1972
- Plus d'informations : http://www.mcjp.fr/francais/cinema/...
- Festival : Art Theatre Guild of Japan (ATG) ou La fabrique d’auteurs

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– Titre original : 書を捨てよ町へ出よう -sho o suteyo machi e deyô
– Durée : 2h19mn
– Sortie au Japon : 24 avril 1971
Premier long-métrage de Terayama hors du circuit expérimental, ce récit d’initiation pathético-grotesque et déjanté déconcerte mais émerveille par sa totale liberté et sa formidable force poétique.
L’argument : Dans un taudis habite un petit monde : la grand-mère solitaire qui vole à l’étalage, le père, ancien sergent de l’armée au chômage, la petite sœur silencieuse qui s’est attachée à un lapin, et le garçon de 19 ans recalé à l’université qui trouve sa liberté dans une équipe de football.
Notre avis : Trois ans après Premier amour, version infernale, écrit par lui mais réalisé par Susumu Hani, Shûji Terayama signait ce film produit par ATG et destiné à une diffusion plus large que celle des réalisations underground et délibérément expérimentales qu’il avait dirigées jusque là, telles que Ori (1964) ou Empereur Tomato Ketchup (1971).
Jetons les livres, sortons dans la rue ne sacrifie pas pour autant, on s’en doute, aux règles du cinéma commercial grand public et si l’itinéraire initiatique de son héros (watashi, c’est à dire moi) sert de fil conducteur narratif au film, l’auteur y cultive allègrement son goût des bifurcations incongrues et de la provocation.
Les personnages n’hésitent pas à s’adresser directement au spectateur, comme le protagoniste au début ou à la fin (Moi je peux fumer, vous pas), voire proférer, à l’instar du chanteur de Cache-cache pastoral, de sombres menaces à son encontre : Transmettez au plus vite ce message à cinq personnes, sinon vous mourrez, nous dit l’un des intervenants lors de l’étonnante séquence des petites annonces qui voit défiler à l’écran une dizaine d’hommes en quête de l’âme soeur. Et, pour brouiller définitivement les frontières entre fiction et réalité du tournage, un panoramique de plusieurs minutes fera se succéder en gros plans les visages de tous les membres de l’équipe en guise de générique de fin.
Inserts documentaires (les immanquables manifestations anti-américaines en cette période de guerre du Vietnam), collages, visions oniriques délicieusement cauchemardesques (l’aéroplane rose sans moteur qui ne décolle jamais, le travesti dans la baignoire dont il n’est pas sorti depuis des jours), détails incongrus (le frère et la soeur croisant dans la rue un homme portant sur le dos un quartier de porc), humour volontiers scatologique ou lorgnant vers le grotesque carnavalesque (le ramasseur de vieux avec sa charrette de ferrailleur : Avez-vous des pères ou mères dont vous souhaitez vous débarrasser ?), inénarrables trips musicaux sur les compositions de J.A. Seazer (alias Terahara Takaaki, qui fait d’ailleurs une apparition en junkie-poète aux cheveux longs), sexualité sans tabous prenant volontiers une tournure violente (le viol collectif de la petite soeur par l’équipe de foot dans les douches du club), suite de fausses fins : tout est fait pour déconcerter, voire irriter le spectateur.
Mais ce côté débridé, prenant même par moments l’allure d’un joyeux n’importe quoi, fait le prix d’un film ouvert et extrêmement troublant qui émerveille par sa liberté de ton, la force poétique de ses trouvailles visuelles (le héros tirant le rideau de l’alcôve après sa traumatisante séance de dépucelage au bordel et découvrant que le lit est placé au milieu d’un champ moissonné) ainsi que par le charme fragile (entre Calimero et Buster Keaton) de son attachant protagoniste (Hideaki Sasaki) qui aimerait bien se débarrasser de son encombrante famille et assumer son attirance pour les footballeurs et surtout le charismatique et séduisant capitaine de l’équipe (Sei Hiraizumi) qui le prend sous son aile protectrice mais ne l’autorise jamais à jouer (il ne fait que passer la serpillère dans les vestiaires).
Objet précieux mais, pour reprendre l’expression de Cocteau, difficile à ramasser, sho o suteyo machi e deyô est un grand film libre, réjouissant et mélancolique, où souffle l’esprit d’une époque désormais lointaine mais dont le pouvoir subversif reste intact.
La bande-annonce : ICI