Sur la route
Le 17 novembre 2004
Un premier roman puissant et dramatique qui démontre que la guerre ne s’arrête pas aux frontières.


- Auteur : Miljenko Jergovic
- Editeur : Actes Sud
- Genre : Roman & fiction

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Lorsque l’on est écrivain dans un pays ravagé par un conflit ethnique, forcément, ce que l’on écrit en porte les stigmates. Avec Buick Riviera, Miljenko Jergovic démontre que la guerre ne s’arrête pas aux frontières. Un premier roman puissant et dramatique.
La Buick Riviera n’est pas une simple voiture. Pour Hassan, son propriétaire, elle représente bien davantage : elle est une incarnation du rêve américain et de sa tentative d’intégration, lui le Bosniaque au pays de l’Oncle Sam. Ce que tout un chacun appellerait une vieille bagnole l’aide à supporter les frustrations d’une vie faite de compromis, elle est le réceptacle de toute cette violence contenue, des petites humiliations ravalées sans fierté. Jusqu’à cette nuit d’hiver où tout va basculer et les repères voler en éclat...
Cette étrange et magnifique chronique débute sur une route enneigée dans l’Oregon, un état au fin fond du Nord des Etats-Unis. Hassan doit aller récupérer son épouse au théâtre où elle répète une pièce. Lui aussi est un artiste d’ailleurs, un cinéaste, mais un cinéaste sans projet. Il se met en route tranquillement, mais, cette nuit la vieille Buick fait des siennes et ne démarre pas. Hassan a rendez-vous avec son destin car un seul homme va se proposer de le dépanner. C’est un compatriote... presque. Alors que lui est un bosniaque musulman, Vuko (littéralement le loup) est serbe. Et, à part une langue commune, tout les sépare. Le premier a quitté son cher pays vingt ans auparavant, le second l’a fui il y a tout juste cinq ans, probablement recherché pour crimes de guerre ; Hassan tente de sauver son mariage, Vuko a plaqué femme et vie confortable. Le dialogue qui va s’instaurer entre les deux protagonistes ne peut que s’envenimer devenir explosif.
En provoquant cette rencontre fortuite, Miljenko Jergovic parvient à éviter la caricature et une morale manichéenne. Il fait évoluer progressivement les rapports entre les deux hommes d’une certaine connivence à une haine inéluctable. Comme si le drame de leur patrie devait se répéter inlassablement dans les relations entre individus. En quelques jours, dans un espace confiné, toute la palette des rapports humains est passée en revue : méfiance, suspicion, séduction, colère, jalousie, jusqu’à haine viscérale. Chaque échange résonne telle une détonation. Portées par la rage des personnages, les pages sont autant de salves de mitraillettes que viennent à peine interrompre de brefs instants de nostalgie sur la Bosnie de l’enfance, la Bosnie d’avant la guerre. Il reste alors un goût amer : à croire que toute réconciliation est impossible, même loin du lieu du conflit. Une vision insupportable portée par une écriture démesurée qui nous emporte.
Miljenko Jergovic, Buick Riviera (traduit du bosniaque par Aleksandar Grujicic), Actes Sud, 2004, 240 pages, 21 €