Le 5 septembre 2020
Ce livre inclassable et extrêmement complexe raconte le conflit israélo-palestinien d’une manière poignante et labyrinthique avec, pour point de départ, le deuil de deux hommes.
- Auteur : Colum McCann
- Editeur : Belfond
- Genre : Roman & fiction, Récit
- Nationalité : Irlandaise
- Traducteur : Clément Baude
- Date de sortie : 20 août 2020
- Plus d'informations : Le site de l’éditeur
Résumé : Rami est Israélien. Bassam est Palestinien. Tous deux ont perdu leur fille et ce drame leur a ouvert les yeux : « Mon malheur et son malheur, le même malheur ».
Critique : Ce roman est un enchevêtrement de chapitres, très courts, parfois trois mots, parfois une photographie, parfois trois pages. Tous convergent vers la même catastrophe qui est à l’origine du récit de Colum McCann : le meurtre de deux fillettes, l’une palestinienne, l’autre israélienne. Leur père sont devenus amis, ils œuvrent côte à côte pour la fin des checkpoints, pour la fin de l’Occupation, pour la fin des drames identiques au leur, pour la fin des attentats et du racisme. Passé et présent, énumérations, phrases non verbales, anecdotes et souvenirs répétés, assénés encore et encore, de manière diverse ou semblable, se mêlent au sein d’Apeirogon. Hybride, inclassable, cet ouvrage est tout à la fois documentaire, livre d’Histoire, témoignage. Il est constitué d’une infinité de côtés, à l’image du polygone dont il porte le nom – « apeirogon ».
L’auteur, pour écrire ce livre, s’est fondé sur les dires et les vies de Bassam et de Rami, les pères endeuillés qui sont ainsi au cœur de son œuvre. Les années de prison du premier, les années de guerre du second, leur femme et leur famille, leurs souvenirs auprès de leur fille, toutes deux parties trop tôt, leur rencontre, leurs exils, leur combat et leurs conférences. Bassam, le Palestinien, a rédigé un mémoire sur l’Holocauste. Rami, l’Israélien, a soutenu le premier lorsqu’il attaqua en justice l’état juif, considéré responsable de la mort de Smadar. Pour étoffer leur douleur, l’auteur l’enrobe de références, d’épisodes historiques, d’échos, qui tous soulignent l’absurdité du conflit et le décrivent. La manière dont sont construites les balles de caoutchouc qui ont tué Abir ; où sont assemblées les Jeeps américaines des soldats ; comment Einstein et Freud en sont venus à s’interroger sur la guerre dans leur correspondance ; les maximes de Rumi ; les habitudes de Borges ; les traditions culturelles des uns, des autres ; les initiatives artistiques, Banksy, le mur et ses graffitis sages ; la partition silencieuse de John Cage que rappelle le silence de l’ambulance conduisant la fillette vers la mort, et qui rappelle le nom de cette même fillette. Tout est imbriqué. Tout. Tour à tour, Rami et Bassam sont sur le devant de la scène, parce que « Mon malheur et son malheur, le même malheur » (page 164).
Ce roman est ambitieux, puissant. Il grimpe lentement, comme un courageux ayant entamé l’ascension d’un mont sacré, du premier chapitre au cinq-centième. Puis il culmine à son hémistiche, lorsque ce cinq-centième chapitre devient soudainement le millième, les trois zéros comme un hommage au discours respectif de Bassam et de Rami, qui, pour quelques pages, s’expriment à la première personne. Les deux hommes racontent leur douleur et leur lutte pour la paix. Puis, le roman décroît, de cinq cents jusqu’à un. L’auteur innove, crée un système labyrinthique de références, un récit qui s’appuie sur des anecdotes et se construit en crabe. La lecture en est malaisée, parfois désagréable, mais le lecteur ressort grandi de ces répétitions et de ces informations documentaires et parfois si futiles face au deuil.
Colum McCann - Apeirogon
Belfond
512 pages - 23€
140 x 225 mm
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Kirzy 13 février 2021
Apeirogon - Colum McCann - critique du livre
Quelques kilomètres à peine séparent les deux personnages qui sont au coeur de ce récit kaléidoscopique. Cela pourrait bien en être 1000. Rami est israélien. Bassam palestinien. Deux frères de chagrin, unis par le destin. Pères en deuil, ils ont perdu leurs filles, l’une abattue par un soldat israélien de 18 ans, l’autre tuée lors d’un attentat-suicide commis par trois jeunes kamikazes palestiniens. Rami Elhanan et Bassam Aramin existent, ce ne sont pas des personnages de fiction. Deux amis inattendus, militants au sein des Combattants pour la paix qui oeuvre pour une coexistence pacifique israélo-palestinienne, envers et contre tout, parcourant ensemble le monde entier pour porter leur message, envers et contre tous.
Ceux qui ont lu les romans précédents romans connaissent le don de narration de Colum McCann. Apeirogon n’offre pas la satisfaction habituelle d’un roman arborant une trame classique ample et linéaire. C’est un livre étrange, hybride qui surprend d’emblée. L’auteur y explore le conflit sans fin entre Israël et la Palestine en échappant à toute catégorisation.
Le récit est explosé en 1001 sections narratives qui se baladent librement dans le temps et l’espace, numérotées de 1 à 500 puis de 500 à 1 avec un pont, la double section 500. On y découvre le parcours de Rami et Bassam , mais aussi bien d’autres choses sur la vie au Proche-Orient, sur la vie tout court avec des digressions disparates ( les oiseaux migrateurs, le dernier repas de François Mitterrand, des explications balistiques, les performances musicales à Theresienstadt, des apartés sur Borgès … ).
La connecxion entre ces fragments est parfois très hermétique, très intellectualisé ou demandant un gros effort intellectuel. On est clairement dans l’exercice de style et parfois, j’ai lu vite certains de ces à-côté pour me recentrer sur l’histoire de Bassam et Rami, mais lorsque je suis arrivée à la double section centrale 500, j’ai compris. Comme un uppercut, comme une grenade émotionnelle, les récits à la première personne de Rami et Bassam. L’écrivain Colum McCann disparaît avec ses extraits d’interviews donnés par les deux hommes.
Cette section centrale est d’une force inouïe, elle légitime la démarche de l’auteur en faisant écho à tout ce qui a précédé et tout ce qui va suivre. Sa constellation de mots patiemment construite est un formidable moteur d’empathie. On referme le livre en ayant habité l’intériorité d’êtres humains qui ne sont pas nous. Au-delà de la compréhension de la douleur de Rami et Bassam, on ressent ce qu’ils ont ressenti, de la colère au pardon, de la volonté d’anéantir l’Autre au besoin de tenir sa main, jusqu’à devenir son ami. Certains passages sont inoubliables : les portraits des filles assassinées faits de mille détails du quotidien, le récit des 7 années de Bassam dans les geôles israéliennes, sa transformation lorsqu’il découvre la réalité de la Shoah puis l’étudie.
Un apeirogon est un polygone au nombre infini de côtés. Il ne pouvait y avoir meilleur titre pour ce roman ambitieux, nuancé et sensible qui dit la réalité complexe multi-facettes du conflit israélo-palestinien avec une puissance de frappe remarquable. Marquant et impressionnant.