Le 24 avril 2024
Ce portrait distancié mais touchant d’une artiste aliénée est une œuvre rare du cinéma français des années 1970, qui offre un grand rôle à Delphine Seyrig.
- Réalisateur : Liliane de Kermadec
- Acteurs : Isabelle Huppert, Michael Lonsdale, Roland Dubillard, Jacques Weber, Delphine Seyrig, Julien Guiomar, Liza Braconnier , Marc Eyraud, Roger Blin, Jacques Debary, Gilberte Rivet, Nita Klein, Pascale de Boysson, José-Maria Flotats, Dominique Marcas
- Genre : Drame, Biopic
- Nationalité : Français
- Distributeur : Les Acacias
- Durée : 1h57mn
- Reprise: 8 mai 2024
- Date de sortie : 2 avril 1975
- Festival : Festival de Cannes 1975
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– Reprise en version restaurée : 8 mai 2024 dans une double programmation comprenant aussi Le jardin qui bascule
Résumé : D’après la vie de l’artiste suisse Aloïse Corbaz. L’histoire d’une jeune femme d’origine modeste, pleine d’ambition artistique. Elle est ouvernante en Allemagne mais la Première Guerre mondiale l’oblige à regagner sa patrie. Fragile et perturbée, elle est internée jusqu’à la fin de sa vie. Isolée du monde, elle le réinvente par la peinture…
Critique : Coécrit avec André Téchiné, Aloïse est le deuxième long métrage de Liliane de Kermadec, qui fut photographe de plateau pour Cléo de 5 à 7 et Muriel ou Le temps d’un retour. Présenté en compétition officielle au Festival de Cannes 1975, le film se veut une biographie d’Aloïse Corbaz (rebaptisée Porraz dans le film). Ce changement de nom n’est pas la moindre caractéristique de ce portrait ambitieux qui, bien que linéaire, se démarque des productions académiques scolaires et explicatives, et souhaite privilégier les distances d’un cadre fictionnel. Alternant ellipses et séquences contemplatives (montage grandiose de Claudine Merlin), dialogues psychologiques et non-dits, le récit est captivant, refusant délibérément le romanesque mais en restant narrativement efficace. Curieuse destinée que celle de cette Suissesse de milieu modeste, à qui son entourage refuse une carrière de cantatrice, et qui accepte de devenir la gouvernante des enfants d’un pasteur aisé en Allemagne. Le déclenchement de la Première Guerre mondiale altère sa santé mentale et là voici internée pendant des décennies dans un asile. L’écriture et surtout la peinture la rendront célèbre, ses tableaux emblématiques de l’art brut étant commentés et exposés.
- Delphine Seyrig
- © 1975 Unité Trois, TF1 Studio. Tous droits réservés.
Ce qui aurait pu être un récit édifiant devient à l’écran une œuvre subtile, composée d’images saisissantes, du plan fixe sur deux petites filles apprenant la mort de leur mère à celui d’une cousine cupide (Gilberte Rivet) pleurant des larmes de crocodile pour hériter de droits d’auteur, en passant par une séquence de danse récréative où Aloïse entreprend une valse ininterrompue, y compris lorsque son cavalier quitte la piste... Aloïse est bien évidemment un film féministe dans ses intentions, mais aucune lourdeur démonstrative dans sa démarche. Et les personnages qui gravitent autour de la jeune femme échappent au manichéisme. Le père (Marc Eyraud) la dissuade d’un projet artistique mais sera sincèrement désolé de son isolement, quand le prétendant (Jacques Weber) qui l’aime et veut l’épouser a conscience qu’elle n’aurait plus sa liberté et respecte son choix. Et si le pasteur de l’asile (Fernand Guiot) est rigide, le professeur de chant (Roger Blin) et le directeur de l’opéra (Julien Guiomar) souhairaient accompagner Aloïse dans sa démarche, mais sont eux-mêmes entravés par les carcans de l’ordre social. On retrouve ces nuances dans la description du milieu médical psychiatrique, quand des personnalités adeptes de thérapies respectueuses des patients (Michael Lonsdale, Roland Dubillard) remplacent des professionnels bornés (Jacques Debary). Mais Aloïse est surtout un beau portrait de femme artiste flouée et aliénée (ici dans les deux sens du terme), qui fait écho à d’autres fictions de cinéma, comme Camille Claudel 1915 de Bruno Dumont (auquel font songer les passages semi-documentaires) ou Un ange à ma table de Jane Campion (sur Janet Frame).
- Isabelle Huppert
- © 1975 Unité Trois, TF1 Studio. Tous droits réservés.
Enfin, le long métrage frappe par le changement soudain d’actrice au bout de quarante minutes de projection, Isabelle Huppert (pour Aloïse adolescente) étant en effet remplacée par Delphine Seyrig qui l’interprète à partir de son arrivée en Allemagne. La première n’était pas encore la star qu’elle deviendra avec La dentellière et Violette Nozière, mais se distingue déjà par son jeu intériorisé et sa subtile froideur, quand la seconde la joue davantage Actor’s Studio, mais avec classe et finesse. 1975 est d’ailleurs une grande année pour la comédienne, également tête d’affiche de India Song et Le jardin qui bascule. Bien accueilli par la presse, Aloïse ne permit pourtant pas à Liliane de Kermadec de poursuivre la carrière qu’elle méritait. Elle réalisa ensuite deux autres longs métrages confidentiels, La piste du télégraphe et Le murmure des ruines, et travailla pour la télévision et le théâtre. La Cinémathèque française, la Cinémathèque suisse et TF1 Studio ont proposé une version restaurée en 4K à partir du négatif image et du magnétique son français (travaux numériques et photochimiques par le laboratoire Hiventy en 2023), et distribuée en salle par Les Acacias le 8 mai 2024.
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