Le 11 juillet 2024
Trente ans après sa sortie dans les salles, Val Abraham est distribué dans une version restaurée qui laisse s’épanouir l’esthétique poétique des images, leur sensualité inhérente et perceptible à chaque plan, leur érotisme tout en suggestion.
- Réalisateur : Manoel de Oliveira
- Acteurs : Leonor Silveira, Luis Miguel Cintra, Diogo Dória, Isabel Ruth
- Genre : Drame
- Nationalité : Français, Suisse, Portugais
- Distributeur : Capricci Films
- Durée : 3h23mn
- Reprise: 10 juillet 2024
- Titre original : Vale Abraão
- Date de sortie : 1er septembre 1993
- Festival : Festival de Cannes 1993
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– Reprise en version restaurée : 10 juillet 2024
Résumé : Dans la région du Douro, Ema grandit avec son père dans une atmosphère de grande sensibilité poétique. Séduisante et innocente, elle développe un goût irrésistible pour les fictions romantiques mais ne trouve jamais de satisfaction avec les hommes. Devenue femme, elle épouse un médecin qu’elle n’aime pas, avec qui elle déménage dans la vallée d’Abraham. Menant une vie mondaine, Ema connaîtra trois amants dans une constante recherche de passion, de luxe et de défis.
Critique : L’héroïne est bovaryenne : on la nomme d’ailleurs « bovariette ». Elle porte le même prénom que la protagoniste de Flaubert et a même jambe traînante. L’histoire est transposée dans le Portugal des années 1970, adaptée du roman d’Agustina Bessas-Luis, qui se réapproprie de manière contemporaine, la figure d’Emma Bovary. Ema (troublante et incandescente Leonor Silveira), cette jeune fille que l’on découvre à quatorze ans, possède un éclat maintes fois souligné et renversant d’innocence. Elle se marie quelques années plus tard à un médecin, Carlos Paiva, et va vivre avec lui dans la vallée d’Abraham. Elle s’en désintéresse vite, multipliant les adultères pour combler le manque de romantisme de la conjugalité ; aussi – et surtout - parce qu’elle est en proie à l’ennui, aux fantasmes d’une vie rêvée, jamais honorée, ni expérimentée.
- © 1993 Gémini Films, Madragoa Filmes / © 2024 Capricci . Tous droits réservés.
Le plan qui ouvre le film prend son sens dans le caractère de l’héroïne. Nous sommes dans un train. Le paysage défile sous nos yeux, parfois flou, à cause de la vitesse. Les thèmes de la fuite, de l’évitement, sont posés, définissant les failles de la jeune femme en même temps qu’ils la rendent insaisissable. Personne ne peut la retenir ; ni son mari, ni ses trois amants, ni la caméra : car bien qu’Ema inonde les pièces qu’elle traverse de sa présence radieuse, elle dégage une aura (que beaucoup des hommes qu’elle rencontre qualifient de « beauté ») insondable. Peut-être encore, parce que sa présence physique, en lien avec la plastique toute en nuances pastelles de la pellicule, témoigne de son statut d’icône : elle est une image, gravée à jamais dans la rétine de ceux qu’elle a côtoyés (hommes divers, amis, domestiques…) et son être au monde se situe dans la mélancolie. Ema est un souvenir, échappant sans cesse à quiconque voudrait l’enfermer.
Manoel de Oliveira ne montre jamais de scènes de sexe à l’écran. Il les suggère. Tout se joue dans la métaphore : cette rose, par exemple, ses pétales se resserrant en son cœur, et à l’intérieur desquels se glissent les doigts de la jeune Ema, qui préfère lire plutôt que prier. Le rouge de la fleur en appelle à une dimension utérine ; le reste n’est que poésie. Puis, cette scène entre Ema et l’un de ses plus proches amis, où ce dernier allume une cigarette. Ema en sort une de son sac et se penche, juste au-dessus de lui, pour que le bout touche la braise de sa cigarette. Elle inspire, et c’est presque un baiser inavoué, par objets interposés.
- © 1993 Gémini Films, Madragoa Filmes / © 2024 Capricci . Tous droits réservés.
L’absence de rapprochement physique entre Ema et ses amants vient encore témoigner de la dimension lyrique - voire même fabulée - de ces rencontres. Et si tout ne se passait finalement que dans sa tête ? Après avoir couché avec un jeune violoniste, celui-ci, dos à Ema et torse nu, se met à jouer du violon. Il est saisi par la caméra comme une apparition, une silhouette fantomatique, que la nudité de sa peau, et les draps blancs et retournés du lit, ne font que renforcer. C’est à un onirisme puissant auquel nous assistons, doublant la vision de la protagoniste, constamment happée par ses pensées, qui ne semble pas vivre, mais seulement éprouver (au sens de ressentir émotionnellement) : Ema possède une relation à l’autre qui se situe sur le mode platonique. Deux âmes se rencontrent, de manière idéalisée ; jamais deux corps.
Sauf lors de l’une des séquences qui clôt Val Abraham : Ema offre une rose (toujours) à l’une des employées de maison qu’elle affectionne particulièrement. Elle l’enserre dans ses bras. Est-ce là la seule personne qu’elle ait véritablement aimée ? Amorçant une possible histoire d’amour homosexuelle ? Les gestes, et l’interprétation du spectateur, sont seuls à pouvoir, une nouvelle fois, suggérer et surtout ouvrir à une telle lecture.
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