La rose bleue de Manoël
Le 18 décembre 2024
À travers les troubles d’une femme obsédée par l’idée de voir apparaître la Vierge Marie, le spectateur est interrogé sur sa propre vie : nous devenons les acteurs du dernier film du centenaire toujours aussi brillant qu’est Manoel de Oliveira.
- Réalisateur : Manoel de Oliveira
- Acteurs : Marisa Paredes, Michel Piccoli, Leonor Silveira, Leonor Baldaque, Luís Miguel Cintra, Ricardo Trêpa, Lima Duarte
- Genre : Comédie dramatique, Mélodrame
- Nationalité : Portugais
- Distributeur : Les Films du Paradoxe
- Durée : 2h17mn
- Titre original : Espelho magico
- Date de sortie : 7 janvier 2009
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– Année de production : 2005
Résumé : Libéré de prison, après avoir purgé une peine pour un crime qu’il n’a pas commis, Luciano trouve un emploi auprès d’Alfreda. Il se lie d’amitié avec cette dame fortunée, qui vit dans une spacieuse demeure et apprécie le luxe, tout en exprimant le vœu de voir apparaître la Vierge Marie...
Critique : Après le très personnel Christophe Colomb, l’énigme sorti en septembre dernier dans lequel le cinéaste lui-même partait à la conquête des origines de l’explorateur, Manoel de Oliveira revient à la fiction totale (Christophe Colomb, l’énigme mélangeait investigation et reconstitution).
Le miroir magique est un film qui questionne le spectateur. Les personnages le poussent à réagir, l’interpellent par le biais de très nombreux regards croisés dans le miroir. Les protagonistes s’observent fréquemment et nous avons du mal à déterminer si ce qui nous est donné à voir est le reflet ou l’original. Cette confusion nous place finalement dans le rôle du miroir. Cachés derrière la toile, non palpables, nous sommes pourtant pleinement impliqués : celui qui se regarde, inquiet ou confiant, attend une réponse. Pour comprendre le film, il faut accepter d’entrer dans la logique du raisonnement d’Alfreda (« l’héroïne »), intégrer son monde, traverser ce miroir - la toile - qui nous sépare d’elle. L’irrationnel la dirige ; chercher à comprendre est donc inutile. Il faut accepter. Si l’on ne se décide pas à prendre le pas de l’héroïne de Lewis Carroll, le film reste hermétique. La magie du miroir n’opère que si l’on s’ouvre à lui.
Lorsqu’on décide de porter attention à ces héros ordinaires, l’expérience est belle et porteuse de sens. Le parcours est à la fois linéaire et douloureux.
Linéaire car Manoel de Oliveira ne fait pas d’extravagances. Il choisit avec minutie des cadrages précis, majoritairement en plans fixes, agrémentés de quelques travellings. Ces derniers, utilisés pour traverser les pièces, offrent la vision de l’environnement gigantesque dans lequel évolue Alfreda et sa famille - permettant la compréhension de l’état de perdition psychologique dans lequel elle se trouve.
Douloureux parce qu’on assiste à une obsession malheureuse qui se transforme peu à peu en névrose incontrôlable. Alfreda souffre en silence : elle accepte l’affliction qui la détruit. Calme, elle n’a finalement pas besoin de voir apparaître la Sainte Vierge. Elle est transfigurée.
Le miroir magique ne cherche pas à convaincre le public qui doit s’impliquer, venir au film et non l’inverse. La lenteur intrinsèque et la longueur des plans permettent le questionnement intérieur de chacun, de réfléchir sur la place de la croyance dans nos vies. Mais attention, il n’est pas question de religion, mais de foi, d’idéal de vie. Alfreda est une femme exemplaire dans son attachement à aller jusqu’au bout de ses convictions. L’absolu est son ultime quête. L’ascension progressive de cette femme mène le spectateur à un état réflexif intense et Alfreda est son modèle : libre à nous d’adhérer ou non.
Le film de Manoel de Oliveira est donc une œuvre complexe et profonde qui donne la part belle au spectateur comme acteur. Si l’on ne peut nier l’incroyable retenue des comédiens (clin d’œil particulier à la participation de Michel Piccoli), le regard du spectateur joue une place prépondérante et enrichit le film. On ne sort pas indemne du Miroir magique, mais embelli pour longtemps.
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