Ultravisitor

Depuis maintenant plus de dix ans et sept albums, Tom-Squarepusher-Jenkinson est le trublion emblématique de Warp. Bien plus prolifique qu’Aphex Twin, moins mystérieux qu’Autechre, il représente la part de musicalité du label. Une musicalité qu’il met au service d’une électro exécutée à la machette, ludique et faussement bordélique. Mais aujourd’hui vient le temps du bilan avec Ultravisitor, album somme (1h20 et quinze morceaux) qui reprend finalement les différents pans de la personnalité musicale du monsieur pour en faire une seule entité schizophrène et passionnante.

Peu de gens le savent peut-être, mais Tom Jenkinson fut, dans un passé pas si lointain, un bassiste de jazz-rock émérite, fan absolu de Sun Ra. Il garde d’ailleurs au sein de son public un petit groupe d’inconditionnels issus du jazz, fascinés par ses constructions alambiquées et ses digressions parfois laborieuses. Régulièrement, il fait des apparitions entouré de musiciens de studio (Tetra-sync, sur l’album, en est la preuve enregistrée), bluffant ainsi une audience qui était venue se tortiller sur sa "drill’n’bass", marque de fabrique Squarepusher. Drill’n’bass, vous dites ? Jenkinson a quasiment inventé ce sous-genre de l’électro, où des rythmiques mordantes et sautillantes se croisent à vitesse grand V, donnant ainsi à l’auditeur le sentiment d’entendre des myriades de disques 33 tours diffusés côte à côte en 45.

A ces deux identités viennent s’ajouter celle de compositeur mélomane (sa future carte de visite ?) et celle de showman. Si bien qu’à l’arrivée, Ultravisitor ressemble à un tour de force magistral, où Jenkinson fait fusionner son jazz, son électro, ses qualités de composition et l’esprit de ses performances live. Du reste, certains titres sont tout bonnement des enregistrements de concerts ayant eus lieu à différents moments de sa carrière (le solo de basse de Menelec, par exemple, date de presque dix ans). Les plages de pure instrumentation font ainsi suite à des déflagrations électro ou à des vignettes live, pour le plus grand bonheur d’une structure qui se présente comme un château de carte sonore. Car Ultravisitor donne le sentiment de pouvoir s’écrouler à tout moment si l’on se risque à sauter un morceau ; se nourrissant les uns des autres, ceux-ci permettent ainsi de suivre une véritable voie royale à travers le disque, ouverte à la force du poignet par un mélomane pas avare de ses talents, conscient de ses qualités, et bien décidé à envisager une carrière qui ne le cantonnera plus au seul terrain de jeu électronique.