Le 25 décembre 2002
- Date de sortie : 17 novembre 1977
Une île où le temps s’est arrêté. Magie de la poésie et de la tendresse d’un homme qui se savait condamné.
Dernier disque de Brel, Les Marquises est une île où le temps s’est arrêté. Magie de la poésie et de la tendresse d’un homme qui se savait condamné.
Notre avis : 1977. Jacques Brel a mis un terme à sa carrière de chanteur dix ans plus tôt, lors d’un dernier concert à Roubaix. Il s’est fait depuis acteur et aventurier, s’installant en 1975 à Hiva-Oa, aux Marquises. "Dans ces îles où la solitude est totale j’ai trouvé une sorte de paix", écrit-il [1]. Il y retrouve aussi l’envie de chanter, puisqu’il crée au moins dix-sept chansons et revient à Paris pour les enregistrer. Il en retiendra douze pour un septième album studio : Les Marquises. Son dernier disque, le meilleur peut-être, le plus émouvant certainement.
Malgré l’absence, son équipe n’a pas changé : François Rauber reprend la direction et les arrangements, Gérard Jouannest le piano, Marcel Azzola l’accordéon. Tous toujours aussi talentueux. La voix du chanteur, elle, a faibli. Mais, à force de travail, elle retrouve vite sa couleur : "Jamais elle n’a été aussi belle", dira Brel. Dont la poésie n’a rien perdu de sa force et de sa tendresse. Au contraire. L’ouverture de Voir un ami pleurer porte un monde en quatre lignes : "Bien sûr il y a les guerres d’Irlande / Et les peuplades sans musiques / Bien sûr tout ce manque de tendre / Et il n’y a plus d’Amérique". Avec Jojo, écrite pour son ami Georges Pasquier décédé quelques années plus tôt, le poète porte son art du néologisme plus haut que jamais : "Six pieds sous terre Jojo tu frères encore".
Condamné par un cancer auquel il succombera l’année suivante, Brel invite la mort dans d’autres titres. Parfois par la petite porte - Jaurès, La ville s’endormait ("Je sais depuis déjà / Que l’on meurt de hasard / En allongeant le pas") - mais aussi plus directement, comme dans Vieillir : "Mourir face au cancer / Par arrêt de l’arbitre." Et au Bon Dieu qui l’attendait peut-être, il règle déjà son compte en rendant grâce à l’homme : "Toi, toi si t’étais l’Bon Dieu / Tu f’rais valser les vieux / Aux étoiles / [...] / Mais tu n’es pas le Bon Dieu / Toi tu es beaucoup mieux / Tu es un homme".
Il parle aussi des femmes, évidemment, se moquant du séducteur (Knokke-le-Zoute tango), pleurant les séparations (Orly) et criant son incompréhension envers toutes celles qu’il n’a jamais cessé d’aimer, certes à sa manière. Un fossé entre les sexes qu’il chante avec humour dans Le lion, mais aussi avec ces formules à l’emporte-pièce qu’il appréciait, doutant que les femmes soient "l’avenir de l’homme". Plus fracassants encore sont Les F, lisez Les Flamingants, "chanson comique" sans nuance qui lui vaudra une hostilité tenace en Flandres. Et sans doute que certaines dames qui promènent leur cul sur Les remparts de Varsovie, titre le plus enlevé d’un album où la sobriété de l’accompagnement est un bonheur, lui en veulent encore.
Les Marquises, elles, se font attendre pour mieux se glisser, lascives, sur les mots et les sons. "La pluie est traversière / Elle bat de grain en grain / Quelques vieux chevaux blancs / Qui fredonnent Gauguin / Et par manque de brise / Le temps s’immobilise / Aux Marquises". Brel, les poumons déjà atteints par la maladie, manquait aussi de souffle. Et à écouter son dernier disque, il semble que le temps ne s’est pas arrêté qu’aux Marquises.
Jacques Brel - Les Marquises (Barclay)
[1] Olivier Todd, Jacques Brel, une vie, 10/18
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