Turalo et Wandrille : "La BD, c’est l’art de faire pitié aux impôts et rire aux toilettes !"

Il y a bien longtemps, dans une galaxie lointaine, très lointaine, celle du Festiblog, nous avions rencontré deux artistes fort talentueux, Eric "Turalo" et Wandrille qui ont uni tout leur savoir-faire dans un album unique, distillant la quintessence de l’univers (et de l’humour) de la BD francobelge : La Psychanalyse du Héros de Francobelgie aux éditions Warum.

Entretien.

Messieurs, bonjour. Nous allons parler des héros de Francobelgie....

[Wandrille + Turalo] C’est un pays, la Francobelgie. On y trouve des francobelges. Et des francobelges (filles). Ça se dit pareil... Et il n’y en a pas beaucoup des pays où ça se dit pareil...

Pour commencer, Wandrille, peux-tu nous présenter Turalo ?

[Turalo] Ah ! Il a écrit des bios sur moi, dont 2 récemment, c’est génial, j’ai les chevilles comme-ça (geste montrant qu’il est plutôt bien membré des chevilles)

[Wandrille] Alors, Turalo est vieux. Au premier coup d’œil, on voit que l’on n’est pas du même siècle. Si je devais le décrire physiquement, je dirais qu’il ressemble à une version amincie du quartier-maitre dans Pirates des Caraïbes, Gibbs, avec un piercing qui a tendance à s’infecter. Voilà pour le physique car il faut toujours attaquer sur le physique.

Après, Eric a commencé avec les plus grands et finit avec les plus petits...

[Turalo] (rires) C’est vrai...

[Wandrille] Il a travaillé avec les plus grands, puis avec les indépendants, c’est une véritable pute graphique ! Il a un talent certain pour le dessin à gros nez ! Il a eu des problèmes avec la justice suite à un livre qu’il a réalisé sur Franquin qui, pour des raisons de plagiat évident, n’a pas plu à la famille et aux amis de l’artiste. Et comme je savais qu’il était à 2 doigts d’être lâché je me suis dit que c’était le moment de le replonger dans une nouvelle tempête juridique en lançant un deuxième pavé dans la mare...

En plus, il a une fille qui est mignonne...

[Turalo] Les trois sont mignonnes ! Mais les deux autres sont mineures.

[Wandrille] Oui, voilà, c’est ça.

À chaque fois que l’on fait une Psychanalyse, on essaie de trouver quelqu’un dont le dessin colle bien et là on pouvait difficilement trouver mieux que le dessin d’Eric qui est, j’ai envie de dire, ringard (rires).

Turalo, comment est Wandrille dans la vie ?

[Turalo] Que veux-tu que je te dise ? Wandrille : éditeur, auteur, ami, généreux... En fait, il faut forcément passer par le stade "ami" avant de travailler avec Wandrille parce que, sinon, je ne vois pas qui aurait envie de travailler avec lui ! On est quand même face à un phénomène ordurier, vulgaire, foireux mais drôle. Et toujours bien habillé...

Wandrille est l’un des créateurs du label Warum puis Vraoum avec des propositions éditoriales très intéressantes dont certaines étaient assez couillues...

[Wandrille] Ah, ça, on en a perdu, de l’argent !

[Turalo] Moi, je suis un gros amateur de bandes dessinées et, en tant que lecteur, j’ai connu les productions Warum avant de connaitre Wandrille. J’ai beaucoup aimé sa pertinence des choix éditoriaux, ainsi que la prise de danger, ce qui est très appréciable chez un éditeur. Puis, lors de différentes manifestations liées à la bande dessinée ou aux blogs, on a eu l’occasion de se rencontrer, de s’apprécier...

[Wandrille] Mon premier Festiblog, c’est celui où tu était parrain, je crois...

[Turalo] Oui, j’étais parrain du second (troisième ?) Festiblog. Wandrille aussi fut aussi parrain mais lui c’est un parrain tout jeune, il était parrain l’année dernière...

[Wandrille] J’ai écrit à Yannick (Lejeune, un des organisateurs du Festiblog, ndlr) qu’il était obligé de m’inviter sinon son événement serait foireux et qu’en plus, j’étais le parrain de la fille de Monsieur Le Chien. J’avais mis MLC en copie pour appuyer le mensonge sauf que l’autre a dédaigné en bloc : "C’est pas vrai du tout !". Mais bon, Yannick avait encore une place pour un parisien et m’a dit que si je voulais, je pouvais venir. J’ai dit "OK !". Après j’ai réussi à me rendre indispensable en tirant quelques ficelles...

[Turalo] Voilà, c’est ça l’histoire. Wandrille, si tu lui entrouvres la porte, c’est foutu !

[Wandrille] Tu lui présentes ta fille, t’es grand-père...

[Turalo] Voilà, on a fait le tour du personnage Wandrille. Il y aurait plein d’autres choses à dire mais bon...

C’est le retour de la série La Psychanalyse du Héros. Ça faisait quelques temps qu’on en avait pas vu, non ?

[Wandrille] Ça faisait un an, un an et demi. Mais celui-là, on devait le faire ensemble depuis longtemps. Mais soit Eric n’avait pas le temps ou soit c’était moi qui était occupé.

La Psychanalyse du Héros, à la base, c’est une blague : c’est 3 dessins en N&B que j’avais mis sur mon blog en disant que si je trouve 16 pelos qui sont prêts à mettre 3€ dans un petit truc photocopié relié à l’arrach’, ce serait déjà bien. J’en ai fait une cinquantaine et puis, en fait, ça a tellement bien marché que j’ai du en vendre deux ou trois cent, comme ça, et je me suis dit que ce serait bien si c’était bien dessiné.

Donc j’ai demandé à Reuno, d’abord, puis à Gosh de les redessiner et puis on en a fait d’autres. Les derniers, c’était avec Elosterv pour la Psychanalyse du Héros d’Aventure, Elosterv étant extrêmement talentueuse et fortiche. On a travaillé, également, avec un autre dessinateur du Festiblog, c’est Roger Unter (pour la Psychanalyse des Héros de Cartoon) qui est vraiment un génie total dont j’étais très très fan.

La Psychanalyse des Héros est une série où j’ai fait dessiner des gens de grand talent mais que je trouvais toujours sous-exploités, comme Elric qui a fait la Psychanalyse des Héros de Miquets et qui, théoriquement, devrait boucler la Psychanalyse des Héros de Romans Graphiques sur lequel on a bien avancé...

La collection compte neuf volumes, maintenant. Il devrait y en avoir dix et, après, on fera surement un recueil. Il y a un éditeur espagnol qui a acheté les droits et les a sorti en un seul tome. L’objet était assez joli et j’espère que l’on fera ça aussi.

[Turalo] Moi, il m’a fait bosser une fois qu’il a revendu le droit des autres. Le mien, tout seul, impossible de le revendre, donc je l’ai dans l’os

[Wandrille] Non mais ils vont en faire un tome deux, du coup ! Avec juste le tien...

Ce qui est chouette c’est qu’il y a des gens très très forts, dans des styles très différents. Après, les blagues, comme c’est moi qui les ai faites, j’en suis pas fan. Après il y a toujours une ou deux conneries qui me font vraiment rire. Je retiens un mot de Bouzard qui disait que quand dans ses albums il avait un authentique éclat de rire, il estimait qu’il avait fait son boulot. C’est super mais pourquoi appliquer ça à un album de 48 pages ? Tu te fais vachement chier... Tu fais un petit album de 16 pages avec une image par page, tu trouves vraiment une bonne idée et ça vaut bien 5€, un éclat de rire ? Allez, hop la...

Le format est particulièrement sympathique : 16 pages, 5 €...

[Wandrille] C’est trop cher ! C’est une arnaque ! Guy Delcourt me l’a dit l’année dernière : "Tu te fous de la gueule du monde ! Je ferais ça, je me ferais tirer dessus ! ".

En terme de bouquin, c’est très cher. Mais, à l’époque, mes distributeurs m’avaient dit "ah mais 5€ pour un 16 pages, pour un bouquin, c’est interdit, mais là ce n’est pas un livre : c’est un cadeau, un gadget, un truc qui ne peut pas se lire tout seul. Et 5€ pour un gadget, c’est pas cher !"

[Turalo] Ce qui permet de reverser 3,50€ aux auteurs...

[Wandrille] ... et 8€ aux libraires ! Et c’est là que tu vois que mon modèle économique est vraiment foireux ! Ce qui explique tous mes problèmes avec les impôts !

Bref, tu vois, ça reste un gadget, un ouvrage périphérique qui nécessite une connaissance du sujet. En soi-même, il ne tient pas si il ne s’adresse pas aux fans !

Je suis assez surpris du succès de cette petite série. Beaucoup de gens, que j’aime beaucoup, et qui n’ont pas forcément un rapport avec la BD, me disent qu’ils l’ont dans les toilettes. Et si tu es dans les toilettes des gens, c’est un peu la consécration ! La bande dessinée, c’est l’art de faire pitié aux impôts et rire aux toilettes !

Il y a, peut-être, l’effet collectionneur ?

[Wandrille] Je ne joue pas sur la collectionnite. D’ailleurs, je n’aime pas la collectionnite, c’est une sale maladie. Sûrement parce que moi j’ai été collectionneur et que ça a des limites : des livres que tu n’ouvres pas et c’est dommage. Quand j’ai quitté Paris, j’ai bazardé 2000 BDs mais vraiment bazardé, parce que je ne les lisais plus...

Pourquoi avoir choisi Eric pour La Francobelgie ?

[Turalo] Le dessin ringard, c’est tout ! Pour un sujet ringard, il fallait un dessin ringard : allez hop, Turalo ! (rires)

[Wandrille] Exactement ! Et le mec ramène encore d’autres idées ringardes...

[Turalo] À noter que de toutes ses fréquentations, je suis celle qui est la plus âgée...

[Wandrille] Non ? Loïc Sécheresse n’est pas plus vieux que toi ? Il fait plus vieux parce qu’il est extrêmement maigre et décharné...

[Turalo] Il est assez laid, en fait, et ça vieillit les gens...

[Wandrille] Je ne sais pas si il est laid... Il est chevalin... Et il y a un public pour le chevalin...

Bref, sur la Francobelgie, Eric a rajouté, par les dessins, beaucoup d’éléments comiques que moi je n’avais pas du tout prévu.

[Turalo] C’était le projet que j’attendais depuis longtemps. Il s’agissait, donc, que je mette les couilles sur la table, aussi.

[Wandrille] Il y a des dessins où, quand tu les reçois, tu n’es pas surpris car ça correspond exactement à ce que tu avais demandé. Mais il y a des cas où le dessinateur t’apporte des trucs en plus et c’est vraiment génial. Là, il y a vraiment des éléments qu’Eric a rajouté et qui sont supers...

Y-a-t-il eu des soucis avec les propriétaires des œuvres ?

[Turalo et Wandrille, ensemble] Pas encore !

[Wandrille] Pas encore, ils n’ont pas encore vu. Écoute, jusqu’ici, ça va... Avec les précédents, on n’a pas encore eu de procès. Avec la Psychanalyse des Héros de l’Antiquité, ça va... Les mangas, pas de soucis... Il faut savoir qu’en France, il y a une grosse protection sur les œuvres de pastiche...

[Turalo] ... Mais qui a ses limites...

[Wandrille] Il y a une grosse exception sur les parodies qui est assez largement respectée tant que tu ne fais pas un produit qui est là pour parasiter. En gros, il ne faut pas que tu fasses la même chose, de la contre-façon. Si tu arrives avec un personnage qui laisse planer le doute, ça devient difficile mais, nous, on a eu aucun problème.

En Allemagne, je suis tombé sur les représentants du Lustiges Taschenbuch, le Journal de Mickey et, eux, ils rigolent beaucoup moins. Par contre, la Psychanalyse des Héros de Star Wars ne pose pas trop de problèmes car Lucas est très intelligent là-dessus. Sans encourager ouvertement, il laisse beaucoup de libertés parce qu’il a compris que ça fait du bien à son œuvre.

On a déjà fait un procès, à Warum, pour plagiat de Moi, Je et on a perdu. Pourtant c’était un vrai plagiat : la fille reprenait les dessins, changeait les textes et mettait d’autres couleurs. Pour le coup, c’est très difficile à prouver le plagiat. Pourquoi ? Parce qu’il suffit qu’il y ait 7 différences pour que le plagiat ne soit pas prouvé. C’est un peu le jeu des 7 erreurs...

[Turalo] En fait, il suffit que ce soit mal dessiné pour que ça passe ! Un plagiat bien fait, ça se fait aligner... Un plagiat dégueulasse n’a pas de soucis, c’est de la créa !

[Wandrille] Pourtant c’était incroyable ! Sur 40 dessins, 35 sortaient du livre et, pourtant, on a perdu le procès. Mais pour La Psychanalyse, il n’y a pas de problème, le pastiche est bien identifié !

Que pensez-vous de l’album de Vaïnui de Castelbajac, Docteur Rorschach ?

[Wandrille] Moi, je trouve ça très bien. C’est très proche en terme d’humour mais elle a vraiment ajouté des trucs qui sont bien à elle. Les Kinder, les poupées russes, ce sont des idées qui lui sont propres. Quand j’ai vu ça, je me suis dit "ah c’est pas con...".

Et puis, elle fait ça différemment. Elle a également un style graphique qui est très chouette. C’est bien ce qu’elle fait, c’est chouette.

Dans Rorschach, je vois un lien de parenté avec La Psychanalyse des Héros, c’est sûr, mais elle a trouvé son truc bien à elle. Tu sais, je n’ai rien inventé non plus. Quand j’ai fait la Psychanalyse des super-héros, j’ai posté des gags sur des forums et on m’a dit que ça avait déjà été fait, aux États-Unis par exemple, et sans que je le sache. Tu es rarement l’inventeur d’une idée...

Et je serais vraiment un gros péteux si je disais (voix hautaine, tendance néo-bourgeoise) : "Ah oui ? Quoi ? Comment ? Elle m’a tout pris" !

Non, je suis très à l’aise avec cet album, très à l’aise avec l’auteure et je n’ai pas de griefs contre ça...

[Turalo] Elle est là cet après-midi, on va gérer ça...

[Wandrille] T’inquiète pas, on va lui casser les genoux...

Turalo, quelle est ton actu ?

[Turalo] La Psychanalyse des Héros de Francobelgie, déjà, et c’est pas mal...
Ensuite, je développe un scénario avec une très talentueuse dessinatrice qui s’appelle Magalie Foutrier.

[Wandrille] Qui a un nom formidable...

[Turalo] C’est un projet de 120 pages qui parle de maladie mais de façon optimiste. Pas rigolote, mais optimiste. C’est dans la collection Mirages (Delcourt) et ça sortira l’année prochaine. Et j’ai 2/3 projets sur les bureaux des éditeurs, également.

Sinon, je fais des mini-albums de bande dessinée à destination des enfants qui achèteront des menus chez KFC.

[Wandrille] Ils en ont de la chance, ces salopards !

Tu as travaillé sur Little Alice in Wonderland de Tacito, également ?

[Turalo] Oui, j’ai travaillé sur la mise en couleurs du tome 2. Il s’avère que l’éditeur est un ami de très longue date, que le dessinateur est un ami de très longue date et que quand le coloriste du tome 1 a dit qu’il ne voulait pas faire le tome 2, il a fallu trouver quelqu’un qui était capable de coller à l’esprit de la mise en couleurs du premier volume.

J’ai dit "oui", j’ai fait le boulot et j’ai dit que je ne ferai pas le tome 3 (rire)
Mettre en couleurs du Tacito, c’est complètement fou. Déjà le standard qu’avait posé le coloriste sur le premier tome était complètement dingue, en plus Franck s’était laissé aller à faire des choses complètement démentes ! Ça m’a fait vraiment plaisir sur une fois mais c’était tellement fou que ce travail est devenu un enfer...

Du coup, j’ai cherché des amis qui pouvaient me filer un coup de main et, du coup, j’ai travaillé avec SLO, SLO qui s’est éclaté comme un malade et, du coup, vient de commencer le tome 3 tout seul ! SLO, là, il kiffe...

Et toi, Wandrille, ton actu à toi ?

[Wandrille] Pareil : La psychanalyse du Héros de Francobelgie !

Sinon, je rentre à Paris après 3 ans et demi à Berlin. C’est une info personnelle mais qui influe beaucoup sur le reste car le fait d’être plus proche devrait me permettre d’avancer différemment.

Une BD avec Anne-Lise Nalin qui, de mon coté (scénario, découpage, dialogue), est bouclée. J’ai plein d’inquiétudes parce que c’est la première BD qui n’est pas complétement chez moi mais les planches d’Anne-Lise sont vraiment magnifiques et, en couleurs, c’est une brute épaisse, donc ça me rassure. La sortie est pour mars, chez Delcourt, et ça parlera de trois filles pendant les vendanges.

Sinon, j’ai un autre projet sur les scouts et le fait d’être chef-scout. Un one-shot. C’est un scénario, actuellement, et on cherche un dessinateur. Mais ce n’est pas facile car parler du scoutisme, en France, génère beaucoup d’aprioris de péchés. C’est l’histoire d’un garçon qui va devenir chef-scout mais sans avoir fait de scoutisme avant. Pour cela, il va marcher sur les pas de son frère, qui lui était scout, un peu "idole des jeunes" mais qui a disparu... C’est sur le thème du passage à l’age adulte, un sujet que j’aime bien.

C’est une expérience que j’ai faite en devenant chef-scout moi-même sans avoir été scout avant et j’ai découvert ça avec beaucoup de plaisir et j’ai vu des choses, vraiment, et je voulais partager cette expérience dans une histoire fictionnelle et familiale... Il y a, donc, une part d’autobio là-dedans. J’imagine qu’il y a une part de moi qui a du mal à passer à l’age adulte...
Après, j’ai d’autres projets, moins personnels, d’adaptations de romans d’aventure. J’aimerais beaucoup adapter un biopic, l’histoire d’un aventurier allemand qui est devenu corsaire durant la première guerre mondiale mais c’est un peu flou... Je te raconte ça mais si ça se trouve il ne se passera rien !

Et puis il y a la Psychanalyse des Héros de Romans Graphiques qui devrait arriver et dans laquelle il y a de bonnes idées, j’en suis vraiment content.

Un grand merci à Wandrille et Turalo pour cette rencontre qui ose la vérité et pour le petit dessin ! Et toi, lecteur, lis les Psychanalyses, car c’est vachement drôle !