Notre avis : Dressage des nouvelles par Valentin-le-Désossé en 1890 ou La Môme fromage reluquant la Goulue en 1892 : voilà deux scènes des nocturnes du Moulin Rouge, auxquelles le peintre a donné, par ses toiles, une aura mondiale. Nul artiste ne fut autant associé à la vie des cabarets parisiens qu’Henri de Toulouse-Lautrec. D’origine noble comme le rappelle son patronyme, il a pourtant aimé, au point d’en nourrir son style pictural, les gens simples et authentiques. Goûtant la fête, parfois même jusqu’à la débauche, celle qui masque la détresse du jour, il donne à voir les choses comme elles sont, des êtres humains plutôt que l’envol d’anges asexués. Qu’a-t-il puisé dans ce milieu ? Le fond bois sombre de ces toiles les plus célèbres, des éclairages théâtraux pour faire surgir des visages colorés, de la crasse banlieusarde pour intensifier ses traits noirs, la fluidité des liqueurs pour diluer le point post-impressionniste de sa jeunesse et le transformer en un trait libre, mais aussi une place pour son physique difforme, clownesque, qu’il raillait lui-même et qui le rendait définitivement étranger à tous les canons. Toulouse-Lautrec est un peintre du réel. "Ce pragmatique doublé d’un hédoniste n’avait d’autre idéal que de vivre pleinement."
Il existe des figures à la proue de chaque discipline, elles inventent leur temps et annoncent celui qui suit. Généralement, elles ne sont entendues que de quelques connaisseurs contemporains, méprisés du nombre. Si Van Gogh en est le champion, Lautrec n’est pas loin sur le podium. Il faut rendre hommage à son exécuteur humble testamentaire, Maurice Joyant, qui sut promouvoir son travail et tous ceux qui en portent symboliquement la charge à sa suite.
L’auteur, Nicholas-Henri Zmelty, réussit à nous approcher du peintre de manière lisible, avec le recul nécessaire sur l’époque, mais aussi toute la littérature du siècle qui nous en sépare, et ce sans déroger à la précision qui sied à un pareil ouvrage. Remarquable de recul entre les récits des amis, les critiques de l’époque, il ouvre talentueusement à l’attention du lecteur, une vue homogène et documentée, au service d’un portrait juste du peintre. En un mot : c’est écrit pour être lu.
S’il reste des livres dans nos bibliothèques que n’ont pas supplantés les formats électroniques, ce sont bien ceux-là ! Des éditions de grande qualité, dans de grands formats, qui permettent d’apprécier la peinture à chaque page comme celle qu’on admire à chaque pas de l’exposition.
Le présent idéal à faire à l’amateur(trice) du beau livre d’art. Et si c’était vous-mêmes ?
A voir au Grand-Palais ! A lire à la maison !