Wannsee - La chronique BD

La BD peut-elle avoir une rôle de document historique, comme peut l’être la vidéo par exemple ? Un reportage, qui reprendrait des photographies, des extraits de documents officiels. Voilà comment se présente Wannsee, documentaire d’un nouveau genre, proche de Shoah de Lanzmann par certains aspects, avec une exactitude qui se veut témoignage, empreinte, trace. Car il y a quelque chose de terrifiant à l’idée que les prochaines générations pourraient mettre de côté, diluer ou oublier l’ignominie que fut cette décision, où de simples gratte-papiers ont pu orchestrer de façon technocratique et politique, sans brutalité mais avec l’unique souci d’efficacité, la mort de tant de milliers d’âmes. Avec ses détails sur le gouvernement du Reich et sur ses rivalités, la répression des territoires occupés ou annexés, les débuts des einzastgruppen en Europe de l’Est, ces commandos qui ont entamé ce gigantesque charnier par des balles dans la nuque jusqu’aux camions au gaz d’échappement bouché, Wannsee est à la fois le commencement et l’apogée de ce que l’homme représente de plus détestable, haineux, vil et froid. Auschwitz n’en sera finalement que l’avatar.

© Casterman

Il faut dire que le dessin permet évidemment de consolider cet aspect documentaire. Chacune des quinze ordures qui siègent à cette conférence a été photographiée, et le dessin s’applique à les crayonner, à les griser sans les grimer, pour que chacune de ces pâles figures corresponde à la réalité de ces hérauts d’une Apocalypse qu’il déclenchent, fonctionnaires pointilleux ou officiers ambitieux. La villa qui fait office de rendez-vous historique et de prétexte littéraire est particulièrement soignée, et comme le souligne la préface, si les nazis ont autant plu, fasciné ou impressionné, c’est à cause du faste de leurs réalisations et de leurs tenues apprêtées, propres à l’extrême. En cela, le dessin fait la part, paraît sonder les âmes au-dessous de cette fine pellicule d’apparence, rendant une certaine noirceur et une certaine vomissure à ces hommes, au milieu d’un buffet copieux ou d’une salle somptueuse.

© Casterman

Tentative mi-graphique mi-historique, pour rendre compte d’un épisode méconnu mais ô combien important de la Seconde Guerre mondiale, pour trouver un sens impossible à l’abject, Wannsee recoupe les compte-rendus pour rappeler que la plupart des hommes présents n’ont même pas été jugés.