Le secret derrière la porte
Le 3 novembre 2024
Sept ans après Jusqu’à la garde, Xavier Legrand creuse encore plus le sillon de la violence masculine exhumée avec ce conte d’épouvante sur l’hérédité fataliste du patriarcat.
- Réalisateur : Xavier Legrand
- Acteurs : Blandine Bury, Marc-André Grondin, Yves Jacques, Anne-Elisabeth Bossé, Louis Champagne, Vincent Leclerc
- Genre : Drame, Thriller
- Nationalité : Français
- Distributeur : Haut et Court
- Durée : 1h52min
- Date télé : 13 novembre 2024 22:22
- Chaîne : Canal+ Cinéma
- Titre original : Le Successeur
- Date de sortie : 21 février 2024
- Festival : San Sebastian International Film Festival
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Résumé : Heureux et accompli, Ellias devient le nouveau directeur artistique d’une célèbre maison de haute couture française. Quand il apprend que son père, qu’il ne voit plus depuis de très nombreuses années, vient de mourir d’une crise cardiaque, Ellias décide de se rendre au Québec pour régler la succession.
Critique : Dans Le successeur, Xavier Legrand poursuit le geste cinématographique qu’il avait initié avec Jusqu’à la garde dans son traitement chirurgical du mécanisme de la violence masculine, à ceci près qu’il s’intéresse dorénavant au mâle qui souffre. Dès lors, comment L’homme est-il aussi le bourreau de l’homme ? Le patriarcat est certes un régime qui soumet les femmes, mais ce qui nous est moins avouable, c’est sa dimension transgénérationnelle envers les Hommes, cette filiation charnelle des pères. Il y a une sorte de fatalisme dans la construction du personnage d’Ellias, dans la mesure où ses efforts de guérison pour rassasier le mal le conduisent malgré lui à la ruine. Sa vie va devenir un labyrinthe inextricable, sans possibilités d’échappatoires, que Xavier Legrand représente au travers du motif de la spirale, métaphore de l’héritage paternel. Le film s’ouvre d’ailleurs sur une image de spirale durant un défilé de mode qu’on pourrait assimiler à un sabbat de sorcières avec ces mouvements de caméra antithétiques et la musique tribale et démentielle de Sebastian Akchote. Le cinéaste imagine la vie d’Ellias comme un long chemin de croix tout en sinuosités, un voyage initiatique qui mènera Ellias jusqu’à La Porte de l’Enfer. À son retour au Québec pour régler la succession, il va retrouver la maison de son père qui va agir comme vecteur d’une auto-psychanalyse. La cave de la maison renferme un terrible secret qui se trouve derrière la porte.
- Copyright Haut et Court
Il nous vient à l’esprit les plus grands réalisateurs psychanalytiques comme Alfred Hitchcock ou Fritz Lang. En effet, Hitchcock, inspiration première de Xavier Legrand, utilisait la psychanalyse comme moteur intrinsèque de son son art : que ce soit avec La maison du docteur Edwardes, Rebecca ou encore Les oiseaux, les éléments pulsionnels cachés qui refont surface en chacun des personnages constituaient la matrice originelle de l’histoire. On pourrait aller plus loin et comparer le manoir de Rebecca à la maison du paternel d’Ellias. La maison devenait pour Hitchcock une extension du passé, qui semblait être lié à ses murs, trompant et étouffant Rebecca et l’invitant à créer une obsession maladive pour la défunte épouse de son mari. Dans Le successeur, le passé a sa projection dans le présent, l’image du Père ogre semble n’avoir jamais quitté la maison et rappelle constamment à Ellias son cauchemar mental. Legrand puise aussi dans Le secret derrière la porte de Fritz Lang dans la construction de son récit : la résolution d’une énigme, celle du Père absent, à travers l’exhumation d’un traumatisme d’enfance refoulé. La porte fermée devient un symbole de l’esprit qui refuse de s’ouvrir, condamnant Ellias au déni.
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Ce qui lie Ellias à son père est donc la violence. Legrand montre dès le prologue du film qu’Ellias, créateur de mode censé sublimer le corps de la Femme, est un personnage profondément contradictoire, puisqu’il n’hésite pas au dernier moment à substituer l’une de ses modèles par une autre pour la photographie de couverture de son magazine. Les portraits des différentes mannequins prétendantes sont disposés ici et là comme un tableau abstrait et désarticulé ; les femmes sont perdues dans la masse, comme noyées dans l’esprit despotique d’Elias. Ce choix qu’il fait pour s’affranchir du fondateur de la marque dont il est le nouveau garant récemment nommé, en substituant une égérie par une autre, est en fait un révélateur de la part sombre du Créateur. En dirigeant la mise en scène de sa première couverture, avec ses jeunes modèles qui poseront auprès de lui, Ellias ne peut s’empêcher de les réifier en pur objet de fantasme. Cette objectification de la Femme se traduit de manière plus concrète au milieu du film, quand Ellias est pris dans la tourmente après une révélation dont on taira la nature ici. Quand Ellias est confronté au point de bascule du récit, Xavier Legrand use d’un procédé de surimpressions d’actions proprement terrifiant, le spectateur voyeur restant légèrement à distance de l’hécatombe. À peine venons-nous d’assister à l’innommable que la mise en scène de Legrand revendique déjà un temps d’avance sur la considération humaine, évoquant avec une grande acuité le caractère éphémère voire dérisoire, imperceptible, de l’horreur. Cette même idée est travaillée dans un panoramique circulaire située dans une voiture, qui fait lieu d’ellipse temporelle accélérée, faisant ressentir au spectateur la passivité voire l’atonie face à l’effroi autant que la rage contenue d’Elias virant peu à peu dans une quiétude résignée. Ellias aura beau dissimuler sa véritable nature et enterrer son Moi véritable, l’hérédité primera toujours. C’est un constat amer que Xavier Legrand nous livre avec Le successeur. Plus qu’à un simple thriller néo-noir, c’est à une méditation désabusée sur la notion de patriarcat que le cinéaste nous convie, au travers d’un Homme se débattant contre l’indicible, se fourvoyant constamment dans sa quête, avant de chuter tel Icare se rapprochant trop du soleil. Reste à déterminer si le grand vide concluant cette curieuse succession prend la forme d’une acceptation d’un changement de l’être, dans toute sa vulnérabilité et sa fragilité, ou bien est synonyme de la déchéance absolue. Une œuvre impressionnante de maîtrise.
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