Partie de campagne
Le 15 avril 2014
Le long-métrage le plus sobre de Xavier Dolan est également le plus étouffé, pris dans un récit dominé par l’esprit de sérieux.
- Réalisateur : Xavier Dolan
- Acteurs : Xavier Dolan, Evelyne Brochu, Pierre-Yves Cardinal, Lise Roy, Manuel Tadros
- Genre : Drame
- Nationalité : Français, Canadien
- Durée : 1h42mn
- Date de sortie : 16 avril 2014
- Plus d'informations : Le site du distributeur
- Festival : Festival de Venise 2013
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Le long-métrage le plus sobre de Xavier Dolan est également le plus étouffé, pris dans un récit dominé par l’esprit de sérieux.
L’argument : Un jeune publicitaire voyage jusqu’au fin fond de la campagne pour des funérailles et constate que personne n’y connaît son nom ni la nature de sa relation avec le défunt. Lorsque le frère aîné de celui-ci lui impose un jeu de rôles malsain visant à protéger sa mère et l’honneur de leur famille, une relation toxique s’amorce bientôt pour ne s’arrêter que lorsque la vérité éclatera enfin, quelles qu’en soient les conséquences.
Notre avis : Le premier plan de Tom à la ferme – des mots d’amour et d’adieu écrits à la hâte sur un mouchoir où l’encre d’un stylo Bic pleure – pose la continuité : comme dans ses précédents films, Xavier Dolan ira chercher à la source d’un lyrisme assumé la matière première de son personnage, ici un jeune graphiste branché de Montréal venu enterrer son petit ami dans une campagne qui ne sait rien de son homosexualité. Tom à la ferme signe pourtant également le sceau d’une certaine sobriété à l’intérieur même de ce lyrisme : le syndrome des « vêtements qui tombent du ciel » et autres idées visuelles souvent gratuites dont le cinéaste québécois semblait vouloir à tout prix truffer ses films, comme s’il n’allait plus avoir la place et les images pour les mettre ailleurs, s’est ici progressivement évaporé. Les premiers cadres du film sont austères, distants presque. Formellement et visuellement, cette sobriété paie - l’exubérance des premiers films du Québécois laisse ici place à des plans plus maîtrisés, plus désirés sans doute aussi, dans une atmosphère étouffante de crépuscule rural. Sur le papier, donc, le retour à ce que Dolan sait faire de mieux – mettre en scènes les hystéries des uns et des autres, la confrontation entre mélodrame et comédie d’individus névrosés dans leur genre et leur quête d’amour. Et pourtant, de la pièce de Michel Marc Bouchard qu’il adapte pour l’écran, Xavier Dolan peine à tirer la matière d’un long-métrage : faussement dissimulées derrière des mécanismes de révélations et de retournements, les relations entre les personnages s’épuisent rapidement, dénuées d’une chair profonde qui permettrait de dépasser la pure figure de fascination-répulsion mise en place dans les vingt premières minutes du film, et qui évolue avec linéarité jusqu’au dénouement.
Le lyrisme que cherche Dolan est ici absent de la campagne qu’il filme ; c’est non pas un défaut en soi, mais un manque certain dans l’esthétique que le cinéaste veut mettre en place – comme si la sobriété affirmée du film avait ôté la matière de la poésie. Dans un univers où la crédibilité réaliste est soigneusement contournée (le huis-clos théâtral renaissant dans la campagne québécoise), le film tente de prendre sur le terreau de la fable rurale et morale. Contrairement à Laurence Anyways ou aux Amours imaginaires, Xavier Dolan semble se refuser à aimer ses personnages – excepté peut-être Tom, qu’il interprète, et dont le visage martyrisé au milieu des champs de maïs en fait une sorte d’élu condamné au masochisme. Le cinéaste parvient pourtant à diriger ses acteurs d’une façon précise, voire acérée (notamment l’excellente Lise Roy en mère éplorée et paradoxale), ménageant des moments d’humour pince-sans-rire et de surréalistes séquences de repas de famille. Nous nous retrouvons tout le long du film coincés dans le regard que Tom, le "petit con" de la ville, porte au début de l’histoire sur ce monde qu’il découvre – une bêtise innommable et terrifiante, qui s’étend d’un unique personnage à la communauté tout entière. Le frère, au centre du récit, est la caricature du paysan rustre, violent, homophobe et lui-même chargé d’un fort pouvoir homoérotique ; la relation qu’il entretient avec Tom est celle d’une première idée avec une autre idée, et rarement le trouble tant désiré par le film réussit à poindre au sein des scènes. Si trouble il y a, il existe davantage entre Tom et la ferme elle-même, sorte de lieu de mémoire qui ramène le personnage à la matérialité disparue de son amant défunt. Tom à la ferme crie son désir d’accéder au rang de film puissant et terrien ; le lyrisme et le mythe resteront pourtant étouffés par la péquenauderie dans un geste cinématographique qui, à trop vouloir être primal, se contente d’un simple conte de campagne.
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