Sur mes lèvres
Le 19 janvier 2022
Troublant de désinvolture, le nouveau Dolan fait poindre un spleen jamais sentimentaliste et infiniment romanesque. Autant d’étourdissements émotionnels portés à leur firmament.
- Réalisateur : Xavier Dolan
- Acteurs : Vincent Cassel, Nathalie Baye, Marion Cotillard, Gaspard Ulliel, Léa Seydoux
- Genre : Drame, LGBTQIA+
- Nationalité : Canadien
- Distributeur : Diaphana Distribution
- Durée : 1h35mn
- Date télé : 21 janvier 2022 20:55
- Chaîne : Arte
- Date de sortie : 21 septembre 2016
- Festival : Festival de Cannes 2016
Résumé : Adapté de la pièce de théâtre éponyme de Jean-Luc Lagarce, le film raconte l’après-midi en famille d’un jeune auteur qui, après 12 ans d’absence, retourne dans son village natal afin d’annoncer aux siens sa mort prochaine.
- Copyright Sons of Manual, MK2 Productions, Téléfilm Canada
Critique : Peut-être n’a-t-il jamais été aussi simple de détester un film de Xavier Dolan qu’avec Juste la fin du monde. Cette particularité, elle s’explique sans doute du fait que toutes les marottes du cinéaste canadien ressortent cette fois encore plus extrapolées, jusqu’à toucher du doigt la parodie. Plus maniérée et empruntée que jamais, la mise en scène se veut toute entière un écrin dédié aux sentiments dans leur plus pur dépouillement. Il serait facile d’en condamner la teneur, de reprocher au réalisateur sa tendance très choux à la crème à superposer le glamour des acteurs au kitsch arty des décors et des costumes, les morceaux de musique tonitruants à un étalonnage électro-pop branchouille. Mais le système de Xavier Dolan, une fois passé le barrage de cette esthétique aux faux airs de publicité, recèle bien plus que ne le suggèrent ces seules apparences. Le décalage constant et obsessionnel du cinéaste participe d’un métalangage dense et sophistiqué. Entendre : la forme a priori consensuelle, le pathos fictionnel, etc., tout ça n’enlèvent rien aux étourdissements émotionnels qui avaient trouvé leur point d’incandescence avec Mommy. Avec Juste après la fin du monde, le huis clos apporte une sensibilité supplémentaire à l’édifice. D’abord prisonnier dans l’habitacle de l’avion, Louis - Gaspard Ulliel, débordant d’émotions mais tout en intériorité - troque sa geôle pour une cellule plus animée : la maison de sa mère qu’il n’a plus croisée depuis 12 ans. Sa présence presque irréelle, imposante même dans la pudeur la plus mutique, amène Dolan à adopter une lumière en clair-obscur. Presque invisible dans l’obscurité de l’avion l’amenant vers son village natal, Louis n’apercevra jamais l’enfant jouant à lui masquer les yeux - allégorie d’une jeunesse perdue. Il y a peut-être là quelque chose d’un Orphée sortant des Enfers.
- Copyright Sons of Manual, MK2 Productions, Téléfilm Canada
Le découpage choisi pour mettre en scène son arrivée dans le vestibule de la maison familiale est un modèle du genre. L’étalonnage petit à petit s’assombrit pour basculer vers des tonalités plus froides et mélancoliques, comme si la mort prochaine de Louis dans une veine toute poétique contaminait l’environnement alentour. Plutôt qu’un plan d’ensemble enserrant tous les protagonistes en présence, Xavier Dolan opte au contraire pour une fragmentation. Tout juste réunie, la famille n’a pourtant jamais été aussi morcelée. Des plans fixes viennent un à un étreindre les visages en gros plan de la mère, de la sœur, du frère et de sa compagne, à mesure qu’évolue le dialogue. L’axe de caméra n’est pas toujours exactement le même - surtout pour Louis, toujours filmé en plongée, et comme happé par le ciel - et une rythmique psychologique s’amorce. A l’instar de toute la suite du film de Dolan, les mots prononcés ne signifient rien ou presque, de même que les phrases restent toujours en suspens. C’est précisément cet état vaporeux où tous les non-dits pourraient voler en éclat en une catharsis spectaculaire d’une seconde à l’autre qui fait de Juste la fin du monde un film à part. Un film où ce ne serait plus aux mots de faire sens, mais au silence. L’absence trop longue du fils, le père défunt, la relation très Caïn/Abel de la fratrie Louis-Antoine, l’éternelle rebelle-attitude de Suzanne faute de repère paternel... les thématiques adaptées par Dolan à partir de la pièce de Jean-Luc Lagarce trouvent ici pour la plupart l’enveloppe idéale. Et même si la faconde intello-pop du canadien n’est plus une surprise, son choix de musique (Blink 182, Moby, etc.) et sa sélection de costumes - géniale Nathalie Baye en mère peinturlurée façon Lola branchée-ringarde - emportent Juste la fin du monde loin, très loin de la supposée erreur de parcours. Mieux : son dispositif, qui ose tout mais jamais pour meubler, semble gagner en liberté. A aucun moment la créativité à l’œuvre ne surgit juste par besoin de démontrer un savoir-faire, mais bien par nécessité. Il y a dans cette éloquence et cette vivacité d’esprit quelque chose d’infiniment littéraire.
- Copyright Sons of Manual, MK2 Productions, Téléfilm Canada
Même si moins iconique que la célèbre ouverture du cadre de Mommy, le brusque flash-back dans la chambre de Louis retentit avec le même éclat. Le basculement entre cette scène et la séquence l’accueillant est d’une fluidité sidérante, comme si les raccords n’existaient pas. Encore une fois, rien n’est prononcé mais tout est dit. A noter que l’on se souviendra longtemps du dialogue avorté entre Louis et sa mère dans la dépendance, peut-être le moment le plus beau du film. Où la magie de la mise en scène fait poindre un spleen jamais sentimentaliste mais infiniment romanesque et lyrique. Là où d’innombrables films échouent et à créer le drame, et à y greffer des émotions, Juste la fin du monde trouble par sa désinvolture. Xavier Dolan prouve à nouveau sa maitrise sans faille du mélodrame. Et qu’importe si son film perd un peu en intensité dans les dernières secondes.
- Copyright Diaphana Distribution
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faaf 25 septembre 2016
Juste la fin du monde - Xavier Dolan - critique
Je vois ce film au seconde degré, car, au premier degré, hormis la qualité de la mise en scène et de l’interprétation - ce qui est déjà pas mal - c’est totalement vide et sans intérêt. Au seconde degré, c’est de l’autodérision, et la scène clé qui en donne la grille de lecture, c’est le monologue d’Antoine au volant de sa voiture. Pour ce fabriquant d’outils, les mots de Louis (et le film de Dolan) ne veulent rien dire et ne valent rien. Je ne sais pas si Dolan en est conscient. Est-ce que je sur-interprète ?
Le casting me parait réussi, sauf pour Léa Seydoux, excellente comédienne par ailleurs, qui incarne mal une jeune petite sœur à peine sortie de l’adolescence.
Re Chab 12 avril 2020
Juste la fin du monde - Xavier Dolan - critique
Mon sentiment par rapport au film est plus mitigé.
Il s’agit de rassembler des caractères dans une famille, où ceux-ci sont caricaturés à l’extrême, c’est ce qui est gênant.
On a demandé aux comédiens de sur-jouer un rôle, qui ne semble pas vraiment fait pour eux. D’une certaine façon, on est assez proche d’un Scola dans "affreux, sales, et méchants".
Le propos de Dolan serait sans doute mieux passé, s’il avait utilisé des acteurs plus "neutres", en tout cas moins de stars ( seul V Cassel semble être à l’aise dans son rôle)... et que les non dits le soient, dans une famille plus ordinaire... l’hystérie de chacun dans celle qu’a choisie Dolan fait qu’on a du mal à rentrer de plein pied dans le film, et que le spectateur a l’impression d’être manipulé : de cette façon, il ne perd jamais de vue qu’il a affaire à des acteurs ( alors que le rôle du cinéma est, - entre autre -de faire oublier qu’ils en sont)... on a donc du mal à croire aux personnages, malgré la qualité de l’interprétation, et la sculpture des visages en gros plans...donc aux émotions suggérées...et par conséquent, au film lui-même...