Sonate en Nippon mineur
Le 24 mars 2009
Kurosawa quitte l’école de l’horreur japonaise et signe une fable intimiste aux lignes tragi-comiques et épurées, où se révèlent au sein d’une famille les doutes et les contradictions de la société contemporaine.
- Réalisateur : Kiyoshi Kurosawa
- Acteurs : Kōji Yakusho, Teruyuki Kagawa, Kyōko Koizum, Haruka Igawa, Kai Inowaki
- Genre : Drame
- Nationalité : Japonais, Néerlandais, Hongkongais
- Distributeur : ARP Sélection
- Durée : 1h59mn
- Date de sortie : 25 mars 2009
- Plus d'informations : Le site du distributeur
- Festival : Festival de Cannes 2008
Résumé : Le portrait d’une famille japonaise ordinaire. Le père, licencié sans préavis, le cache à sa famille. Le fils aîné est de plus en plus absent. Le plus jeune prend des leçons de piano en secret. Et la mère, impuissante, ne peut que constater qu’une faille invisible est en train de détruire sa famille.
Critique : Au son d’une mélodie au piano, une rafale de pluie vient s’engouffrer dans une maison, avant qu’une femme au foyer accourre et s’agenouille face au spectacle des éléments : c’est ainsi que s’ouvre Tokyo Sonata, et ce début fait métaphore pour l’ensemble du film. En effet, Kurosawa quitte le domaine de l’horreur incisive et glaçante en se lançant ici un défi, celui de sortir des codes précis d’un “genre”. L’expérience consiste à plonger dans l’univers d’une famille japonaise confrontée aux bouleversements concrets de la société contemporaine : chômage, perte de l’autorité et affaiblissement des liens personnels... Le tour de force du réalisateur est de transcrire à l’écran la violence de ces changements, tout en conservant le ton d’une fable des temps modernes. Si la première partie du film se concentre sur les errances du père - l’incroyable et presque burlesque Koji Yakusho -, dans un Tokyo réaliste miné par les déconfitures de l’économie japonaise, le récit s’autorise des incursions plus surprenantes, où l’univers des personnages prend une coloration poétique et nous fait découvrir des épisodes contemplatifs tels qu’une méditation sur la plage, face à la lune, ou une séquence touchante d’éveil enfantin à la musique. On est certes pourtant bien loin du conte de fées, et Tokyo Sonata nous met aux prises avec une histoire moralement dure, dont on peut parfois peiner à décrypter le propos : c’est le signe d’un refus de juger aussi bien les situations que les personnages, ces derniers apparaissant dans un état de faiblesse qui n’exclut pas leur part de responsabilité. Là encore, la place du père est un thème qui travaille tout particulièrement le film, Kurosawa reprenant la lignée d’Ozu qui dès les années 1930, dans Gosses de Tokyo, mettait au jour les contradictions entre un modèle de la famille patriarcal et traditionnel, profondément ancré dans le quotidien japonais, et la fragilité de la position des hommes dans le monde de l’entreprise et des rapports de classes.
Tokyo Sonata se déploie ainsi à la manière d’un haïku, cette forme poétique classique au Japon : un condensé bref de vers, marqué par un rythme paisible et régulier, qui fait se mêler les différents mondes - nature et culture, enfants et adultes, cosmos et vie intérieure - et par là même joint les différents tons. Kurosawa ne renonce pas à nous faire sourire devant la naïveté ou le caractère absurde de certaines situations, mais le sourire se transforme bien souvent en grimace un peu amère, comme si le réalisateur cherchait sans cesse à montrer les deux côtés, face et revers, de la médaille du progrès. Lorsqu’il montre la colère ou l’humiliation, c’est toujours par ellipses - comme dans la séquence où le père se met à faire une démonstration de karaoké au cours d’un entretien d’embauche - et effacement. Il serait vain et réducteur de faire de Tokyo Sonata un film à thèse, mais peut-être tout autant de le considérer comme un film de société. Car pour le cinéaste, la réalité ne se mesure pas qu’à l’aide de statistiques sur la désorientation des jeunes ou l’augmentation du phénomène des hommes d’affaire surqualifiés au chômage. Dès lors, choisir de filmer la maison japonaise comme centre vivant du récit, c’est opérer un retour épuré à l’essentiel, et tenter de faire du cinéma la plaque photographique sensible sur lequel viendront s’imprimer les émotions les plus discrètes que tous, personnages comme spectateur, sont susceptibles de tout simplement vivre.
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Norman06 29 avril 2009
Tokyo Sonata - Kiyoshi Kurosawa - critique
Le meilleur film de Kyoshi Kurosawa. Partant d’un drame social (la paupérisation des cadres), le cinéaste retrouve son univers d’étrangeté sous la fausse apparence du réalisme. Des séquences d’anthologie (le minable cambriolage, le repas chez le collègue) font déjà de ce récit une perle du cinéma japonais.
Claude Rieffel 18 novembre 2012
Tokyo Sonata - Kiyoshi Kurosawa - critique
Kiyoshi Kurosawa rend certes hommage à Ozu mais en citant une des scènes les plus brutales filmées par celui-ci (la chute dans l’escalier d’Une poule dans le vent - 1948). Il observe avec une espèce d’hébétude effarée ses personnages plonger doucement dans un drôle de cauchemar et se maintient dans un registre tragico-grotesque presque euphorique mais qui ne bascule jamais dans l’outrance. La scène finale de l’audition est un moment magique et bouleversant mais qui n’a rien d’une victoire sur le malheur. Juste une espèce de miracle fragile qui ne peut surgir qu’une fois que le fond a été atteint.