Le 23 octobre 2019
- Réalisateur : Kiyoshi Kurosawa
- Acteurs : Atsuko Maeda, Ryō Kase, Shōta Sometani, Adiz Radjabov, Tokio Emoto
- Titre original : 旅のおわり世界のはじまり - To the Ends of the Earth
- : Eurozoom
- Nationalité : Japonais, Qatarien, Ouzbékistan
- Date de sortie : 23 octobre 2019
- Durée : 2h
- Titre original : 旅のおわり世界のはじまり - To the Ends of the Earth
Long-métrage à part dans la filmographie de Kiyoshi Kurosawa, Au bout du monde ne manque pas de qualités formelles, même si la manière singulière dont il laisse ouvert le champ des interprétations risque de dérouter certains spectateurs.
Résumé : Reporter pour une émission populaire au Japon, Yoko tourne en Ouzbékistan sans vraiment mettre le cœur à l’ouvrage. Son rêve est en effet tout autre... En faisant l’expérience d’une culture étrangère, de rencontres en déconvenues, Yoko finira-t-elle par trouver sa voie ?
Notre avis : Des différents réalisateurs qu’on réunit sous le nom d’« École super 8 » et qui se sont illustrés dans le cinéma de genre, Kiyoshi Kurosawa est celui qui a le mieux su se renouveler, non seulement en faisant une incursion sur les terres du cinéma traditionnel avec Tokyo Sonata (2008), mais également en tournant à l’étranger (par exemple Le secret de la chambre noire (2017) qu’il a réalisé en France dans la langue de Molière). Si Au bout du monde réunit ces deux particularités, c’est cependant davantage dans la continuité de ses deux dernières réalisations, Avant que nous disparaissions (2017) et Invasion (2017), que le cinéaste inscrit ce nouveau film qui constitue une nouvelle variation sur le même thème : le sentiment d’être étranger au monde qui nous entoure. À ceci près que Kiyoshi Kurosawa n’y met plus en scène des extra-terrestres venus de l’autre bout de la voie lactée, mais une présentatrice de télévision jouée par Atsuko Maeda qui interprétait déjà un rôle similaire dans Seventh Code (2013) et dont le personnage a cette fois été envoyé par sa chaîne réaliser, en compagnie d’une équipe de tournage, une émission de divertissement en forme de carnet de voyage dans ce qu’elle considère comme le bout du monde, et qui s’avère être l’Ouzbékistan.
- Copyright : Film Partners / Uzbekino
On croit parfois déceler une ironie mordante dans la succession de mésaventures que vit cette jeune femme à mesure que les techniciens qui l’accompagnent la filment dans des situations pittoresques destinées à constituer autant de cartes postales : l’animatrice, du nom de Yoko, tente ainsi de pêcher le Bramul, un poisson mythique du lac Aydar qu’elle ne trouvera jamais ; elle goûte au Plov, un plat local préparé dans des conditions rustiques ; elle essaye une attraction foraine de l’époque soviétique, qui s’avère davantage relever de l’instrument de torture. Mais, comme le film incite par ailleurs à compatir à son sort en la présentant comme la victime d’un monde exclusivement masculin, le spectateur ne sait trop s’il doit en rire ou s’en émouvoir. De même, lorsque la jeune femme s’apitoie sur le sort d’une chèvre prisonnière d’un enclos dans l’arrière-cour d’une maison de Samarcande et qu’il lui vient l’idée de filmer une séquence où l’animal sera libéré, ce dernier se révèle toutefois être un mâle que sa propriétaire accepte de vendre, mais qu’elle viendra rechercher une fois qu’il aura été relâché : le choc des cultures crée donc manifestement des incompréhensions, mais le film se contentera d’en tirer, à l’issue d’un énième quiproquo, une morale quelque peu irénique sur la nécessité du dialogue entre les peuples.
- Copyright : Film Partners / Uzbekino
En mettant en scène des dispositifs qui médiatisent le réel, Kiyoshi Kurosawa semble, ensuite, interroger la distance qui sépare le monde de sa représentation audiovisuelle et se demander si les images, en faisant sans cesse écran, n’empêchent pas la découverte ainsi que la rencontre avec l’autre. De fait, Yoko semble déchirée entre l’image d’intrépide globe-trotter que lui imposent les stéréotypes de la télévision nippone et sa condition de jeune Japonaise que son réalisateur considère comme une potiche et qui se révèle surtout incapable d’affronter l’altérité sur un autre mode que celui de la peur. De fait, alors qu’elle joue la candide à l’écran, un inaltérable sourire aux lèvres, son assurance de façade s’effondre dès la caméra éteinte : car, se sentant isolée dans un pays dont elle ignore la langue, une fois seule dans les rues, elle rase littéralement les murs de peur d’entrer en contact avec des autochtones qui s’avèrent pourtant plus compatissants que le metteur en scène qui l’accompagne. Comme de nombreux personnages de Kiyoshi Kurosawa, Yoko est perdue entre plusieurs univers, le monde réel dans lequel elle évolue, l’Ouzbékistan mythique peuplé d’animaux pseudo-légendaires, la fiction que produit son équipe de télévision et l’univers fantasmatique que crée sa propre imagination : peut-être le dispositif finit-il toutefois par devenir trop complexe, dans la mesure où le traitement de chacune de ces dualités aurait pu suffire à un film entier.
- Copyright : Film Partners / Uzbekino
Ainsi, tandis que l’exigence d’exotisme qu’impose le réalisateur de l’équipe se heurte à la quotidienneté du réel, la seule échappatoire dont dispose Yoko consiste à communiquer par messages avec son petit ami resté à Tokyo, la rendant encore plus absente à ce qui l’entoure et de moins en moins capable de s’émerveiller. Pourtant, ce sont ces mêmes écrans, qui la tiennent désespérément éloignée des Ouzbeks, qui l’avertiront du danger de mort que courra ce même compagnon, pompier de profession, lors de l’incendie d’une usine : or, ce qui constitue le seul véritable événement du long-métrage - et qui n’est pas sans rappeler la catastrophe de Fukushima - se déclarera non pas en Ouzbékistan mais au Japon, pays présenté en creux comme un havre de sécurité. Doit-on donc se rassurer du fait de vivre, où que l’on soit, dans une perpétuelle insécurité, ou bien en déduire qu’il faut être ici et maintenant, quoi qu’il puisse se produire où l’on ne se trouve pas ? Encore une fois, la question restera ouverte.
- Copyright : Film Partners / Uzbekino
Le spectateur découvre, enfin, grâce à l’intercession de Temur, l’interprète de l’équipe de tournage, que des prisonniers de guerre japonais ont été déportés par les Soviétiques en Ouzbékistan et qu’ils y ont construit l’opéra Navoï à Tachkent. On aurait souhaité connaître davantage leur histoire, et si l’on comprend bien que cette anecdote révèle un lien méconnu entre Japonais et Ouzbeks, la morale à tirer de ce récit reste une nouvelle fois obscure : faut-il croire que le travail forcé rapproche les peuples, ou bien n’y aurait-il finalement à retrouver en Ouzbékistan que le Japon ? D’ailleurs, le film, dans sa logique paratélique, ne suivra ce nouveau fil que de façon ténue, au risque de perdre une nouvelle fois le spectateur. Jusqu’au final un brin kitsch qui nous montre l’héroïne entonnant au sommet d’une montagne, après s’être une première fois rêvée en train de l’interpréter dans le fameux opéra, une version japonaise de L’hymne à amour : mais Yoko se réconcilie-t-elle alors avec le réel ou se perd-elle définitivement dans la solitude de ses fantasmes, lorsqu’elle chante qu’elle est prête à aller "au bout du monde", où elle se trouve pour les besoins de sa carrière, afin d’y retrouver un être aimé paradoxalement resté au pays ?
- Copyright : Film Partners / Uzbekino
Produit pour commémorer vingt-cinq ans de relations diplomatiques entre le Japon et l’Ouzbékistan, Au bout du monde évite habilement les écueils des vidéoclips pour offices de tourisme, mais n’en porte pas moins les marques du film de commande : faute d’être porté par une véritable nécessité interne, Kiyoshi Kurosawa semble avoir opté pour le procédé de la mise en abyme afin de pouvoir construire son film au fil des réflexions que faisaient surgir en lui le tournage et de faire de son personnage une image de sa propre personne - en même temps qu’un double inversé d’elle-même, puisque Yoko souhaite devenir chanteuse, alors même qu’Atsuko Maeda s’est efforcée de ne plus être une idol. Et c’est sans doute à force de mêler et d’entremêler, sans toujours les dénouer, problématiques personnelles et réflexions tantôt morales, tantôt méta-poétiques que le film, malgré ses indéniables qualités d’interprétation et de réalisation, laisse au spectateur le sentiment d’avoir vu une œuvre mineure dans la filmographie d’un cinéaste qui s’avère pourtant incontournable.
Galerie Photos
aVoir-aLire.com, dont le contenu est produit bénévolement par une association culturelle à but non lucratif, respecte les droits d’auteur et s’est toujours engagé à être rigoureux sur ce point, dans le respect du travail des artistes que nous cherchons à valoriser. Les photos sont utilisées à des fins illustratives et non dans un but d’exploitation commerciale. Après plusieurs décennies d’existence, des dizaines de milliers d’articles, et une évolution de notre équipe de rédacteurs, mais aussi des droits sur certains clichés repris sur notre plateforme, nous comptons sur la bienveillance et vigilance de chaque lecteur - anonyme, distributeur, attaché de presse, artiste, photographe. Ayez la gentillesse de contacter Frédéric Michel, rédacteur en chef, si certaines photographies ne sont pas ou ne sont plus utilisables, si les crédits doivent être modifiés ou ajoutés. Nous nous engageons à retirer toutes photos litigieuses. Merci pour votre compréhension.