Stupeflip

Ils sont affreux, bêtes et méchants. Et de leur propre aveu, ils n’iront pas loin. Pourtant, en moins de trois ans et grâce à des concerts mémorables (notamment au Printemps de Bourges ou aux Transmusicales de Rennes), les brailleurs du Stupeflip ont su se créer un public d’inconditionnels, attirant dans leurs filets aussi bien les vieux de la vieille du rock alternatif des années 80 que les très jeunes amateurs de fusion hardcore. Lesquels se précipitent pour entendre leur fameux Je fume pu d’shit, hilarante description du quotidien du cannabinomane moyen, mais aussi pour leurs imprévisibles intermèdes pendant lesquels le groupe traite les spectateurs de tous les noms, se lamente sur sa propre médiocrité et clame son amour pour Mylène Farmer.

Une habile propagande autour du collectif n’est pas étrangère à ce buzz : sur scène comme sur album, King Fu et ses acolytes se consacrent à élaborer une véritable mythologie autour du "crou" et de ses origines (une "première ère" du groupe aurait rassemblé 894 adeptes dès 1972). Cette mythomanie, ce sens de l’auto-célébration et de l’ego-tripping les amalgament même parfois avec les groupes de hip-hop pur jus. Par ailleurs, ces graphistes fans de BD mettent un soin particulier à transposer sur scène l’imagerie gore qu’ils étalent à plaisir dans leurs textes et sur leurs pochettes de disques. Une dimension cabaret macabre qui n’avait pas été aussi bien explorée depuis les VRP.

Par chance, Stupeflip, l’album, parvient à être un peu plus qu’une pièce rapportée à tout ce Barnum. Sans faire d’eux les Beastie Boys français, comme certains les ont sacrés un peu vite, leurs trouvailles verbales et leur sens du flow feraient plutôt penser à un Saïan Supa Crew qui n’aurait pas dépassé le stade sadique-anal (écouter le virtuose Comme les zot qui règle son compte au panthéon de la variété française). Le Stupeflip assume la vacuité de son propos, crie "vengeance !" au lieu de réclamer un autre monde et cite Jean-Jacques Goldman pour témoigner de son engagement politique (A bas la hiérarchie).

Un mélange incongru de mainstream commercial et de parodie de la culture "djeunz" qui le place parfaitement dans l’air du temps. Difficile de dire si Stupeflip dépassera pour autant le statut de groupe culte, comme Ludwig Von 88, leur modèle le plus évident des années 80. Pour tous ceux qui refusent de choisir entre Jennifer et Damien Saez, c’est déjà une bouffée d’oxygène bienvenue.