Tet à clacs
Le 14 mai 2003
Brouillage des contours entre instrumentation acoustique et manipulations numériques.


- Artiste : Four Tet

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Dans la foulée de son grand copain Manitoba, Kieran Hebden brouille les contours existant entre instrumentation acoustique et manipulations numériques sur un troisième album incisif, charriant un doux parfum de solitude.
Un des grands enjeux de la musique populaire actuelle consiste à tenter de préserver un équilibre entre accessibilité et innovation, entre musicalité et expérimentation, entre le corps et l’esprit. Et il semblerait qu’en ce moment de jeunes bidouilleurs testent chacun dans leur coin un moyen singulier afin d’y parvenir : rapprocher autant que faire se peut la chaleur de l’acoustique avec les possibilités du numérique. Dans ce domaine, Kieran Hebden, jeune Anglais de 25 ans, rivalise de créativité avec son camarade canadien Dan Snaith de Manitoba.
Tous deux utilisent le même point de départ : ils jouent de divers instruments acoustiques, s’enregistrent, puis retravaillent numériquement ces enregistrements. Mais contrairement à Manitoba, qui a quitté avec Up In Flames les rivages bucoliques de l’electronica pour voguer sur les mers autrement plus agitées d’un psychédélisme furibard, Kieran Hebden laisse son embarcation Four Tet fermement amarrée, et continue de creuser le sillon gravé en 2001 sur Pause.
Nourrissant sa "folktronica" mélancolique de breakbeats, il rappelle ainsi un DJ Shadow de la première heure qui aurait troqué son studio bâti dans une cave enfumée contre une cabane perdue en pleine forêt. Car outre son emballage bucolique, Rounds est en fait un grand disque de beats, tant les rythmiques claquent et mordent, occupant souvent le devant de la scène, comme sur le single She Moves She. Kieran avoue d’ailleurs avoir beaucoup d’admiration pour les maîtres du r’n’b actuels Timbaland ou Rodney Jerkins. Mais la principale qualité de l’album est de réussir à faire cohabiter des rythmes aussi incisifs avec des mélodies fragiles et mélancoliques. Sur My Angel Rocks Back And Forth, qui renvoie aux grandes heures de l’abstract hip-hop du label Mo’Wax, un piano naïf tente d’exister entre deux couches de beats décalés.
Des éléments de folklore donnent également une saveur particulière à Rounds. And They All Look Broken Hearted est ainsi construit autour d’une boucle de koto, instrument traditionnel japonais immortalisé en France par une célèbre publicité Obao qui, dans les années 80, fit découvrir à toute une génération de petits garçons (dont moi-même) les beautés du bain féminin... Hem... Passons. Rounds peut s’apprécier à l’heure du bain, certes, mais il prend toute sa saveur lorsqu’on l’écoute seul chez soi, tard le soir. On ressent alors quasiment physiquement le travail de collage réalisé par Kieran Hebden, qui a en effet composé le disque la nuit, seul chez lui. On glisse avec délectation dans cet univers unique, captivé que l’on est par ce parfum doux-amer qui fait coexister de manière miraculeuse mélancolie et excitation.