Ça commence comme une lettre, une longue lettre d’amour un peu désabusée mais portant encore la trace vive des souvenirs qu’elle contient. Le narrateur s’adresse à une femme, rencontrée par hasard dans un train, à l’exacte frontière entre la France et la Belgique. Des quelques jours passés avec elle, il a gardé des images, des odeurs, des sensations. Il écrit les lueurs, les gestes, l’effleurement des corps et aussi leur séparation, inéluctable.

Il s’adresse tout autant à une ville, Bruxelles, qui n’est pas seulement l’endroit où se déroule l’histoire, mais celui qui lui donne naissance, qui la provoque. Ce sont les lieux, les ambiances qui font la consistance, la présence du récit. L’histoire est faite de ces hasards, l’atmosphère d’un parc, d’une ruelle, d’un café. Elle est soumise au changement des lumières, aux silences qui s’installent, à l’instabilité d’une ville. Et chaque instant peut la faire basculer.

L’écriture de Vincent Delecroix est ainsi, délicate, par petites touches, parfois un peu précieuse, toujours évocatrice. Il cite, beaucoup, des écrits et surtout des tableaux, ceux des peintres flamands qui prêtent à son récit leur lumière et leurs couleurs. Van Eyck, Rembrandt, clartés diffuses, lumières d’or et de miel des intérieurs feutrés, des ciels de Bruxelles que Delecroix compare souvent à des fonds marins, ou à la surface des eaux.

Une écriture à la fois teintée de romantisme et de distance. Un lyrisme souvent brisé par une ironie un peu désinvolte née de la certitude que rien ne dure, que seuls sont réels ces instants futiles mais essentiels où les circonstances nous rendent autres.
Dommage que l’auteur assortisse parfois ce lyrisme à la fois serein et désenchanté de justifications, citations et auto-analyses qui lui font perdre de sa spontanéité. Comme si la volonté de voir l’intime d’un oeil extérieur ne pouvait que lui enlever un peu de sa saveur. Mais c’est peut-être aussi cette distance qui fait le charme de ce livre, qui lui donne son amère légèreté, son ton particulier qui évoque et qui frôle, qui saisit des bribes et des soupirs.

Ça commence comme une lettre, mais une lettre qui, finalement, ne s’adresse à personne. Une lettre qui dit l’instabilité des choses, l’importance des apparences, des circonstances, de tout ce que l’on croit futile et fugace mais qui fait ici l’essence des histoires d’amour.