Le 23 avril 2022
- Auteur : Mariette Navarro
- Editeur : Quidam
- Genre : Roman, Fiction
- Nationalité : Française
- Plus d'informations : Le site officiel de l’éditeur
Lauréate du prix littéraire Frontières-Léonora Miano, Mariette Navarro était présente au festival Le livre à Metz où nous avons évoqué ensemble son premier roman Ultramarins, publié chez Quidam éditeur.
Mariette Navarro, vous venez de remporter le deuxième prix littéraire Frontières-Léonora Miano*. Votre livre a été salué et remarqué par la critique. Il a été sélectionné à plusieurs reprises et a reçu des récompenses. Mais qu’est-ce que le prix Frontières représente pour vous ?
C’est vrai que le prix Frontières représente plusieurs choses, déjà le fait que ce soit un prix d’université, c’est assez inédit. En tout cas, c’est la première fois que ça m’arrive. Et pour moi, c’est important, parce que non seulement j’ai commencé avec un parcours universitaire, mais en plus, je trouve que souvent le travail universitaire est un peu méconnu du grand public, le travail de défrichage, le travail de sondage, de ce qui se passe dans la société à un moment donné, je trouve ça extrêmement important que les artistes et les universitaires avancent ensemble dans la recherche.
Cela me fait d’autant plus plaisir que je sais que ce sont des lecteurs exigeants.
Qu’est-ce que symbolise pour vous la frontière et quel en serait votre définition ?
On l’a entendu pendant la remise de prix, c’est vrai que c’est un mot assez vaste, mais en ce qui me concerne, les frontières auxquelles je suis le plus sensible dans l’écriture, ce sont les frontières symboliques, les frontières invisibles -et on se rend compte qu’il y en a plein d’endroits finalement- qu’elles soient sociales, sociologiques, mentales... je travaille plus particulièrement dans ce livre-là sur une frontière entre des états d’être.
J’utilise d’ailleurs dans ce livre une phrase qui est une citation d’Aristote : “il y a les vivants, les morts et les marins”. Comme s’il y avait des catégories, un peu d’humanité, et pour moi je l’ai entendu comme l’état dans lequel on peut être à différents moments de notre vie, c’est-à-dire parfois pleinement dans le présent, dans la vie partagée, sociale, et puis parfois dans un état où on a beau être au milieu du monde, on ne se sent pas tout à fait parmi les vivants. Et c’est vrai que c’est un peu là-dedans que j’ai eu envie de m’engouffrer en écrivant ce livre et en m’intéressant aux marins, qui sont dans cet autre monde qu’est la mer, pour me dire “tiens, qu’est-ce que ça fait d’être dans cet état ?” Qu’est-ce que ça veut dire d’être sur terre, mais pas tout à fait parmi les vivants ?
- Mariette Navarro Photo : Loraine Adam
Comment est né votre livre ?
J’ai eu la chance de faire une résidence d’écriture à bord d’un cargo en 2012, qui a été pour moi une expérience très bouleversante, surtout en terme de physique, de repère, de bouleversements, de perte d’échelle, etc. Pendant cette résidence, je n’ai pas écrit ce livre à ce moment-là, j’ai pris beaucoup de notes, d’images et de sensations physiques.
Et ensuite, ces notes je les ai laissées un peu mûrir, sédimenter, et à partir de là, j’ai fait plusieurs tentatives d’écriture plus théâtrale, parce que c’est de là que je viens ou plus clairement poétique, comme un recueil de petits poèmes, puis finalement il y a une histoire qui a poussé derrière, et cette matière-là m’a donné envie d’essayer pour la première fois de déployer quelque chose de l’ordre du roman.
Combien de temps a duré votre voyage, votre expérience ?
Je suis resté sur le cargo pendant deux semaines. Il y a eu une première semaine le long des côtes françaises, pour passer dans les ports, pour charger les conteneurs, et une seconde semaine au large, avec huit jours de traversée.
Dans votre livre, il est question de dimension, mais d’une autre dimension là où les dimensions sont abolies. Là où la frontière entre le rêve et la réalité est ténue.
Oui, j’avais envie que justement on soit dans le point de vue de ces marins, notamment de cette commandante, et qu’on fasse corps avec sa perte de repères aussi et son trouble, son bouleversement. C’est pour ça qu’il n’y a pas vraiment de réponses aux énigmes qui sont posées, parce que j’avais envie de ne pas être surplombante (et pour le lecteur aussi) par rapport à ça ou que je donne obligatoirement une réponse.
Plutôt que de plonger le lecteur dans ce qui peut arriver, je pense à un moment dans notre vie où on perd pied, on perd ses repères.
Ce qui est intéressant aussi dans votre livre, Mariette Navarro, c’est qu’il questionne. Il questionne sur l’idée de liberté et en même temps de confinement. Parce qu’on est au milieu de l’océan, on se croit libre, mais sur un bateau, on est confiné, quoi qu’il advienne et c’est un peu comme si on était seul au milieu du désert aussi. Il y a donc une question de solitude et en même temps de liberté.
Oui, absolument et c’est vrai que c’est toujours quelque chose qui m’intéresse, même dans mes pièces, c’est le lien entre collectif et individuel.
Au départ de ce livre, le premier personnage qui est apparu, ce n’était pas la commandante, mais il s’agissait de ce groupe de marins, ce collectif, ce corps collectif qui se jette à l’eau ensemble. Et seulement après, la commandante est apparue.
Il était important pour vous d’attribuer le rôle principal à une femme, commandante de surcroît, un poste rare dans la marine ?
Oui, car cela a peut-être été la décision la plus choisie, si je puis dire, parce qu’il y a beaucoup de choses qui sont venues de façon inconsciente dans ce livre.
C’était déjà une première façon de basculer dans la fiction, puisque dans le voyage que j’ai effectué, il n’y avait que des hommes dans l’équipage, donc il fallait déjà faire un sacré pas pour ne pas écrire un documentaire et changer un peu toute la donne des rapports entre les personnages.
C’était sans doute aussi pour la rendre un petit peu plus proche de moi, il y avait quelque chose peut être de plus intime par ce biais-là, en tout cas, l’envie de décaler quelque chose du réel.
La devise, cette année au livre à Metz, c’est : “même pas peur !”. Mariette Navarro, est-ce que vous vous aimez ressentir, la peur dans votre écriture, vos lectures, dans les films que vous voyez ? Dans Ultramarins il y a du suspense. Peur et suspense, les sensations sont proches ?
Oui, je me suis un peu amusé à me faire peur dans ce livre-là, c’est-à-dire que je n’ai pas anticipé, je n’avais pas là trame tout à fait ficelée avant de me lancer dans l’écriture.
C’était d’abord des sensations, des images, des scènes, comme cette scène de baignade et, en l’écrivant, je me suis rendu compte comment je passais moi-même dans l’écriture de la joie, de l’euphorie, de sauter à l’eau, de cette liberté absolue. La peur, je l’ai ressentie physiquement en écrivant ce vertige, lorsqu’on se rend compte qu’il y a des kilomètres sous nos pieds.
J’aime ça aussi en tant que lectrice. Grâce à la littérature, on peut jouer sans risque avec nos peurs.
Vous avez écrit des poèmes, des pièces de théâtre. Il s’agit là de votre premier roman. Qu’est-ce qui vous a amené, à vous jeter dans le genre romanesque, dans la fiction ?
Ce n’était pas vraiment une décision réfléchie, parce que si je m’étais dit, je vais écrire un roman, je me serais peut-être un peu glissée dans des codes existants, j’aurais voulu faire quelque chose qui ressemble à un roman tel que j’en lis et que j’aime en lire.
Là, c’était vraiment le texte lui-même qui a pris cette forme-là, au bout d’un moment. J’avais ce matériau très poétique des premières pages de la baignade et je me suis posé la question : comment continuer ? Comment l’amener ?
Je pouvais m’arrêter là et en faire presque un long poème ou je pouvais essayer de le développer et finalement ce qui s’est imposé, c’est de le développer. Et là, petit à petit, ça a pris le chemin d’un roman, mais cela s’est fait par l’écriture.
En passant de la poésie, de la dramaturgie au roman est-ce que vous avez ressenti une contrainte, un plaisir ? Ou cela s’est-il fait naturellement ?
Ça s’est fait naturellement parce que dans le théâtre que j’écris, qui n’est pas forcément un théâtre conventionnel, dialogué, ça peut être aussi du récit et mes livres publiés en poésie sont de la prose poétique. Donc finalement je me situe, on en revient aux frontières, dans une zone où les limites ne sont pas si déterminées que cela.
J’aime les romans où l’écriture est très poétique. J’aime le théâtre où il peut y avoir du récit. J’aime la poésie qui nous raconte une histoire. J’aime bien cette zone-là, donc finalement celui-là est un roman, parce que j’ai poussé un tout petit peu plus loin la narration, mais il n’y a pas une si grande différence de nature.
Vous abolissez aussi les formes d’écriture et les genres. On y trouve à la fois de la science-fiction, une épopée, un voyage, de l’étrange...
Oui, ce livre, je l’ai écrit vraiment au départ sans contrainte, je ne l’ai pas écrit pour une équipe comme je le fais parfois au théâtre, ni pour un éditeur, ni pour personne, c’était vraiment un endroit de liberté et j’ai eu envie de me surprendre, parce que je trouve que l’on peut vite s’ennuyer aussi dans l’écriture, si l’on retombe sur des attendus ou des stéréotypes.
Là, je me suis presque donné comme règle du jeu qu’à chaque fois qu’il y avait une direction trop évidente, j’en prenais le contre-pied en allant ailleurs ou en brouillant les pistes. Ça permet aussi de prendre plaisir et d’arriver à mener le récit jusqu’au bout !
Envisagez-vous de travailler sur un nouveau roman et, si c’est le cas, quel en serait la trame ?
A l’heure actuelle, je ne sais absolument pas ! Cette année a été vraiment très occupée par la promotion d’Ultramarins et finalement, en parlant beaucoup de ce livre, cela me laisse peu d’espace pour rêver à un autre, mais j’ai envie en tout cas de continuer à explorer le roman et je pense qu’il y aurait de nouveau quelque chose autour des frontières, mais plus peut être les frontières sociologiques, nos murs invisibles, nos plafonds de verre, qu’est-ce qui nous empêche parfois d’avancer, qu’est-ce qui fait qu’on se freine parfois soi-même dans certaines situations ? Les possibilités restent très vastes.
* Prix créé par l’Université de Lorraine (Crem, Loterr), ses partenaires régionaux et transfrontaliers. Il récompense un roman de l’année 2021 français ou étranger traitant du thème des frontières. Il rend hommage à l’écrivaine Léonora Miano.
Entretien réalisé à Metz, le 9 avril 2022
Ultramarins
Quidam éditeur
156 pages - 15 €
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Galerie photos
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