Dans la ligne d’Emir
Le 30 janvier 2008
Une odyssée délirante dans l’univers du maître serbe. Humour ravageur et fulgurances visuelles au programme. Du pur Kusturica.
- Réalisateur : Emir Kusturica
- Acteurs : Miki Manojlović, Aleksandar Bercek, Uros Milovanovic, Marija Petronijevic
- Genre : Comédie, Romance
- Nationalité : Français, Serbe
- Distributeur : Mars Distribution
- Durée : 2h06mn
- Titre original : Zavet
- Date de sortie : 30 janvier 2008
- Festival : Festival de Cannes 2007, Sélection officielle Cannes 2007 (en compétition)
Résumé : Au sommet d’une colline isolée au fond de la campagne serbe vient Tsane, son grand-père et leur vache Cvetka. Avec leur voisine l’institutrice, ce sont les seuls habitants du village. Un jour, le grand-père de Tsane lui annonce qu’il va bientôt mourir et lui fait promettre qu’il franchira les trois collines pour rejoindre la ville la plus proche et vendre Cvetka au marché. Avec l’argent récolté, il devra acheter une icône religieuse et un souvenir. Enfin, il lui faudra trouver une épouse. Arrivé en ville, Tsane n’a aucune difficulté à exaucer les premiers vœux de son grand-père. Mais comment faire pour trouver une fiancée et la convaincre de le suivre au village avant que son grand-père ne disparaisse ?
Critique : Pas de doute, nous sommes bien chez Kusturica : ça gueule, ça flingue, ça explose, ça baise, ça rit, ça pleure, ça chante et ça danse à un rythme effréné. Une fois de plus, le cinéaste serbe signe une œuvre abrasive, exubérante et gentiment immorale. Une ode à la vie, aux plaisirs simples et à la modestie campagnarde sans le côté réac’ du JT de Jean-Pierre Pernault. Ici, plus de didactisme ni de dogme politique. Certes, il y a bien de temps en temps quelques saillies cinglantes envers les États-Unis ou contre la mégalomanie de certains Serbes mal intentionnés, mais c’est juste pour la bonne bouche. Depuis quelque temps, le cinéma de Kusturica est devenu pur plaisir. Avec une légèreté de ton désarmante, il parvient à faire fusionner toutes les émotions, toutes les attitudes morales et corporelles de ses personnages dans un tourbillon doté d’une poésie visuelle ravageuse et ravagée qui nous colle une migraine orgasmique tonitruante au crâne.
Cette fois, le pyrotechnicien des Balkans s’est évertué à aller encore plus loin dans le cartoon burlesque surréaliste tout en gardant ses marottes folkloriques de prédilection : les animaux, le méchant complètement frappé (d’ailleurs très "lié" aux animaux en question...), les gadgets hallucinants, les dérives guerrières, la jeune fille pure et innocente, l’enterrement et le mariage (qui donne lieu à une traditionnelle scène finale dont il a le secret). La somme de tous ces ingrédients relevés donne un cinéma total, un film-monde, à la cosmogonie particulière et propre à Kusturica, qui se nourrit d’une chaleur humaine capable à elle seule d’accélérer le processus du réchauffement climatique de notre planète. Puis, il y a la musique, bien entendu, dont on ne se lasse décidément pas et qui n’hésite pas à détourner aussi bien Erik Satie que Frère Jacques. Encore un exemple frappant de cette joyeuse manie du renversement. Le haut rencontre le bas, le sacré croise le profane, le vulgaire s’acoquine avec le précieux et les opposés s’attirent. C’est, en substance, la définition même du surréalisme donné par son fondateur André Breton.
À l’image de cette musique confiée pour la première fois à son rejeton Stribor (également acteur bien allumé), notre Emir se mue en pédagogue de la folie douce en créant une sorte de jeu de l’oie initiatique pour le personnage principal de son film, un gamin de douze ans. Pour cela, il emprunte habilement les codes du roman picaresque et a su dégoter un Lazarillo formidable en la personne d’Uros Milovanovic, petit génie capable de vieillir à vue d’œil au fur et à mesure de son aventure. Cet apprentissage d’un mode d’ivresse de vie plus dionysiaque qu’épicurien, cette transmission filiale touchante entre un grand-père et son petit-fils marquent aussi l’envie sincère du metteur en scène de donner les clés de son univers à qui souhaitera toujours s’opposer à un certain cinéma dominant manquant souvent cruellement d’inventivité et d’imagination. C’est pour cette raison décisive que Promets-moi est également un parcours initiatique parfait pour le spectateur encore étranger au carnaval du Serbe.
Mais les inconditionnels l’auront compris, même si l’effet de surprise s’est évaporé depuis plusieurs films, ils replongeront dans ce bouillon vital avec une délectation jubilatoire. Tant que les personnages d’Emir Kusturica continueront de dévaler des collines avec une fanfare déglinguée, en se faisant tirer dessus par des eunuques et poursuivre par des sangliers sodomites, le cinéma se portera bien. N’est-ce pas BHL ?
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Norman06 29 avril 2009
Promets-moi - Emir Kusturica - critique
Kusturica connaît une crise d’inspiration qui ne saurait remettre en cause sa place de premier plan dans le cinéma contemporain : acteurs qui vocifèrent, humour lourdaud, effets qui tombent à plat. Gageons que ce faux pas n’est qu’un accident de parcours dans une filmographie étonnante et que le cinéaste pourra prétendre prochainement à une troisième palme d’or à Cannes.