Rêve éveillé
Le 7 juin 2024
Hors de ses terres serbes, Emir Kusturica nous propose sa vision du rêve américain et signe un superbe conte brindezingue et mélancolique. Un enchantement.
- Réalisateur : Emir Kusturica
- Acteurs : Johnny Depp, Faye Dunaway, Vincent Gallo, Lili Taylor, Michael J. Pollard, Jerry Lewis
- Genre : Comédie dramatique, Fantastique, Film culte
- Nationalité : Américain, Français
- Distributeur : Malavida Films
- Durée : 2h22mn
- Date télé : 15 mai 2024 22:50
- Chaîne : OCS Géants
- Reprise: 10 juillet 2024
- Date de sortie : 6 janvier 1993
- Festival : Festival de Berlin 1993
– Reprise en version restaurée : 10 juillet 2024
Résumé : Installé à New York après la mort de ses parents, Axel Blackmar mène une vie heureuse, recensant les poissons pour le compte du département de la pêche et de la chasse. Mais son oncle Leo, vendeur de voitures en Arizona sur le point de se remarier, le rappelle pour lui servir de témoin et, espère-t-il, de repreneur. Sur place, Axel va se retrouver balloté entre ses propres rêves, ceux de deux femmes, ceux de son oncle...
Critique : Un ballon lancé dans les airs par un petit Inuit fait la jonction entre une banquise d’opérette et le New York actuel, entre le rêve et la réalité : les premières images d’Arizona Dream donnent le ton de ce mélange poético-burlesque, qui fait toute la magie d’un des plus beaux films d’Emir Kusturica. Le scénario de David Atkins, maintes fois remanié par Kustu, fourmille de ce genre d’idées, créant une atmosphère de merveilleux simple et enchanteur : un chien traînant un portrait de famille dans des rues désertes, une table qui s’élève dans les airs le temps d’une conversation, un poisson pêché sous la glace s’envolant dans les nuages... La musique de Goran Bregovic, aux accents mystiques magnifiques, et la voix traînante et goguenarde d’Iggy Pop sur la bande-son achèvent d’installer cette ambiance délicieusement bizarre. Tout ici renvoie à l’univers des rêves, surtout ceux d’Axel, interprété par un Johnny Depp lunaire. À l’image des rêves, le film ne se construit pas autour d’une intrigue claire, mais se forme au fil de pensées, de souvenirs et de fantaisies. Il tend à réaliser les projets les plus fous ou les plus nobles : Elaine veut apprendre à voler, le cousin d’Axel aspire à devenir acteur, Leo aimerait léguer son magasin d’automobiles à son neveu.
- © 2024 Malavida, Studiocanal. Tous droits réservés.
Comme un cauchemar, il révèle les peurs les plus profondes : l’angoisse de la folie, l’obsession du suicide. Kusturica préfère souvent le rire aux larmes, et fait d’Arizona Dream une fantaisie hilarante, s’appuyant sur le cabotinage irrésistible de ses comédiens (Vincent Gallo en acteur raté et mégalo, Faye Dunaway en furie déchaînée qui collectionne les jeunots) et sur un univers burlesque plein de ressources, où tout peut arriver. Mais le film s’assombrit petit à petit, au fil de séquences mélancoliques et poignantes qui restent encore prégnantes longtemps après la vision du film.Pour sa première expérience aux États-Unis, Kusturica adoucit un peu sa folie baroque (qui se manifestera au plus haut point dans Underground, son film suivant), mais ne l’affadit pas. Il quitte vite le flux tendu de New York au profit d’une fuite en avant dans le Grand Ouest américain. Le cinéaste serbe a conscience d’investir un paysage légendaire, renvoyant à toute une mythologie hollywoodienne. Arizona Dream rend ainsi un hommage appuyé au cinéma américain, notamment à travers le personnage de Paul Léger, l’acteur raté, qui rejoue des classiques tels Raging Bull, Le Parrain II ou La Mort aux trousses. Kusturica donne à voir une facette plus singulière, plus secrète du rêve américain, en le troublant de l’intérieur : les grandes stars qu’il fait tourner, Johnny Depp, Faye Dunaway, Jerry Lewis, ont des rôles de marginaux, tous plus ou moins paumés, qui, en voulant vivre leurs rêves jusqu’au bout, y perdent des plumes.
- © 2024 Malavida, Studiocanal. Tous droits réservés.
À l’écart du système des studios, Kusturica, fidèle à ses habitudes, remplit le cadre de divers animaux, fantasmagoriques ou non, et ose l’échappée belle dans les séquences les plus farfelues : un dîner apocalyptique où les convives essayent de se pendre, les divers essais d’aviation d’Elaine. Le triangle amoureux et mortifère que forment Axel, Elaine et Grace traverse les générations (Elaine et Axel pourraient être mère et fils) et sort également des sentiers battus. Même si le financement français et américain a exigé de lui quelques concessions (son film a subit une coupe d’une vingtaine de minutes pour sa sortie en salles aux États-Unis !), Kusturica fait ici preuve d’une liberté de ton enthousiasmante, surprenant constamment le spectateur et lui faisant voir de nouveaux horizons. Drôle, déjanté et émouvant aux larmes lorsque les personnages viennent à disparaître (la séquence magnifique où l’ambulance vole vers la Lune, emportant au ciel le corps de Leo), Arizona Dream est une expérience cinématographique envoûtante, qui a acquis avec les années, surtout en Europe, le statut de film culte et a obtenu l’Ours d’argent au festival de Berlin de 1993.
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Norman06 16 juillet 2009
Arizona Dream - Emir Kusturica - critique
Cette incursion de Kusturica dans l’univers américain est une réussite indéniable, qui permet de retrouver l’imagination débordante de l’auteur. On reverra avec plaisir les séquences cultes de la mort de Jerry Lewis et des délires verbaux de Vincent Gallo. Un must !
Raphie16 26 décembre 2013
Arizona Dream - Emir Kusturica - critique
poétique, émouvant, étrange, éblouissant, un vrai voyage entre le réel et l’irréel, la raison et la folie. On y découvre l’humain dans toutes ses contradictions et ses états d’âme. Kusturica nous impose à nouveau son monde bigarré et peuplé de chimères mais pourtant si semblable au nôtre. Du grand art.