Jolie bouteille, sacrée bouteille...
Le 23 août 2005
Que fait-on lorsqu’on a raté son existence et qu’une petite pointe de génie nous raccroche à l’existence ? On se regarde vivre, tout simplement.
- Auteur : Pierre Charras
- Editeur : Le Dilettante
- Genre : Roman & fiction
- Nationalité : Française
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Que fait-on lorsqu’on a raté son existence et qu’une petite pointe de génie nous raccroche à l’existence ? On se regarde vivre, tout simplement.
Plop ! fait le bouchon du chablis lorsque Guérin la débouche, du geste agile conféré par l’habitude. Plop ! fait Guérin pour l’accompagner. Et Antoine sourit. Antoine aime ce rituel qui donne un parfum familier à sa descente aux enfers. Et, comme il vide les bouteilles avec Guérin, il se regarde, il se voit faire d’un œil détaché. Car ça fait longtemps qu’Antoine ne se rappelle plus ses actes. Non, il se voit les accomplir, spectateur extérieur et déshumanisé, qui observe d’un œil amorphe les petites anecdotes et grandes expériences qui composent sa vie en lambeaux.
Antoine est seul. Il a abandonné bien des rêves pour un travail qui lui rapporte juste de quoi vivre. Antoine n’est plus tout jeune mais pas encore vraiment vieux. Il a juste passé le stade au-delà duquel aucun retour ne semble possible, aucune correction des mauvais choix... Au-delà de ce stade, il n’y a plus qu’à continuer dans la même direction, et se regarder faire. Il est resté très ami avec Margot, son ex-femme, mais ne pense qu’à Jeanne, la passionnée, l’amante et la meilleure amie, telle qu’il l’avait fantasmée, en butte aux moqueries de ses amis plus réalistes, telle qu’il l’a rencontrée et aimée, et qu’il rejoint de temps en temps au cimetière. Et il raconte son existence à cette tombe sans nom, en enjolivant parfois un peu, mais sans mentir... Pas à Jeanne.
Le quotidien d’Antoine c’est Jeanne, Margot, Guérin, et la bouteille de chablis.
Antoine est seul et se laisse vivre, mais son rôle de spectateur lui fait porter sur ses contemporains un regard d’une rare acuité. Antoine n’est pas bête, il ne manque pas de talent, de rêves et de potentiel. Antoine n’est pas vieux.
Mais Antoine est fini.
C’est un court roman d’une profonde intelligence et d’une merveilleuse sensibilité que nous offre Pierre Charras. Loin des chroniques urbaines actuelles, de ces lamentations d’une génération cynique et désenchantée, l’auteur nous propose une œuvre émouvante au parfum doux-amer, pleine de sens, et exempte de larmoiements inutiles ou de repli sur soi. Sans prendre parti, sans juger ni condamner, sans justifier la lâcheté d’un homme qui noie son chagrin dans de multiples illusions, il nous offre le récit merveilleux d’un spectateur de sa propre vie, dont la solitude et son acceptation ont ouvert le regard à ses contemporains. Antoine est touchant parce qu’il ne s’apitoie pas, parce qu’il est conscient de sa faiblesse, parce qu’il montre au lecteur de nombreux talents, de nombreuses qualités humaines, mais a perdu l’envie de s’en servir. Antoine n’accuse pas les autres, il n’accuse pas la société... Il ne s’accuse pas lui-même. Il n’est qu’un spectateur. Un spectateur qui n’en veut pas à l’auteur quand la pièce lui déplaît.
Un récit à dévorer, la larme à l’œil et plein de tendresse pour ce spectateur à la dérive.
Pierre Charras, Plop !, Le Dilettante, 2005, 192 pages, 14,50 €
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