Peinture d’amours
Le 20 avril 2024
Ample et complexe, à la beauté immaculée, À nos amours est certainement l’un des plus grands films de Maurice Pialat. Sandrine Bonnaire est étincelante.
- Réalisateur : Maurice Pialat
- Acteurs : Sandrine Bonnaire, Pierre-Loup Rajot, Alexandra London, Dominique Besnehard, Christophe Odent, Cyril Collard
- Genre : Drame, Teen movie
- Nationalité : Français
- Distributeur : Gaumont Distribution, Capricci Films
- Editeur vidéo : Gaumont DVD
- Durée : 1h35mn
- Reprise: 4 août 2021
- Date de sortie : 16 novembre 1983
Résumé : À quinze ans, Suzanne découvre avec lucidité et une certaine amertume que ce qu’elle aime faire avec les hommes, c’est l’amour et rien d’autre. Le reste ne serait-il qu’ennui ou illusion ?
Critique : À nos amours est cruel car il ne vous laisse pas le temps de respirer : son récit ose le tragique en donnant raison à la fatalité dès ses premiers instants – la pièce de Musset, On ne badine pas avec l’amour, est jouée par des ados. Ample, le film ondule entre le beau et le laid, il joue avec nos sentiments et ceux de ses personnages, passant de la haine à l’amour et de la douceur au mépris avec une pudeur continue. La jeune Sandrine Bonnaire y est pour quelque chose, elle qui illumine l’image, crève l’écran par son regard imprudent, non réfléchi, presque téméraire.
- © 1983 Gaumont. Tous droits réservés.
Son personnage, l’ardente Suzanne, quinze ans, est une femme avant l’heure qui ne vit que pour l’instant présent. Elle enchaîne les conquêtes sexuelles, sans réfléchir à leurs conséquences, parce que le sexe constitue l’ultime échappatoire. Mais malgré les apparences, Suzanne est amoureuse, amoureuse de Luc, jeune beauté masculine au visage juvénile, qui ne peut plus accepter les trop nombreuses tromperies dont il est la victime. Leur couple déraille, Suzanne et Luc pleurent l’amour qu’ils éprouvent l’un envers l’autre, rendu impossible par la passion. Coincée entre une mère hystérique, un frère excessif et un père absent, Suzanne navigue dans le brouillard et ira jusqu’à désirer fuir vers la pension pour s’éviter tant de souffrances, dont elle est la première responsable. Au-delà de son côté dramatique évident, À nos amours n’a rien du spectacle défaitiste et pessimiste qui ferait de l’échec de l’amour une fatalité : l’espoir, les rires et les sourires restent en filigrane, à l’horizon des scènes accablées où s’accumulent les personnages coupables. « Tu n’es pas capable d’aimer » affirme le père de Suzanne à sa fille. Et là reposent tous les enjeux : la capacité à aimer d’une fille en apprentissage de l’amour.
- © 1983 Gaumont. Tous droits réservés.
Comme à son habitude, Pialat fait vivre ses personnages par la violence, qu’elle soit verbale, morale ou physique. Mais ce sont les fluctuations du rythme qui choquent, ces coups de tonnerre, de pieds et de poings, ces cris et ces pleurs qui remuent l’image et font grincer les silences de manière soudaine. Tout en restant rare à l’écran, la violence, que l’on pensait étrangère à ces personnes de la haute société, marque par sa spontanéité. Surtout, c’est son irruption, devenue ordinaire, qui la rend terrible.
Sandrine Bonnaire et Maurice Pialat – qui incarne le père – perforent l’œuvre d’une authenticité rare pour un long métrage sans véritable fil conducteur. Les évènements s’enchaînent, reliés par ces deux personnages symboliques – le père triste des autres, la fille triste d’elle-même –, en rendant possible une universalisation du propos : la scène d’introduction mentionne Musset et son On ne badine pas avec l’amour – titre contraire d’À nos amours – tandis que la séquence presque finale cite Van Gogh qui, sur son lit de mort, déclara « la tristesse durera toujours ». En faisant de l’exposition des sentiments et des tragédies qui en découlent le cœur de son récit, À nos amours ne possède pas réellement d’intrigue et nous rappelle, en ce sens, que le cinéma reste aussi un art subtil de la découverte. Sublime.
Le test Blu-ray
- © Capricci
Offrant une haute définition inédite et de qualité, l’édition Blu-ray ne déçoit pas. Les suppléments, conséquents, auraient néanmoins gagné à être plus originaux.
Les suppléments :
Au-delà de trois entretiens avec Sandrine Bonnaire, Dominique Maillet et Maurice Pialat, où chacun raconte son sentiment sur le film et sur sa conception, ce sont surtout les présences des documentaires Il était une fois… À nos amours (2012, 52’), réalisé par David Thompson, et L’œil humain (1999, 55’), de Xavier Giannoli, qui donnent de la valeur ajoutée à cette édition finalement assez classique. A travers des méthodes très différentes (Giannoli mise sur une approche analytique de l’œuvre tandis que Thompson étudie plutôt sa construction), ces deux documentaires nous informent avec une admiration non dissimulée sur les tenants et aboutissants du film, jugé par beaucoup comme le plus vaste et complexe de son réalisateur. On y apprend par exemple que le tournage fut totalement maitrisé par Pialat, à la manière d’un "hyper-réalisateur" voulant contrôler sa création de bout en bout – et où la qualité finale passe avant toute chose. Aussi présent sur le DVD bonus, les essais de comédiens donnent l’occasion de voir les premiers pas de Sandrine Bonnaire, véritable pierre angulaire du long métrage.
Si la quantité d’informations contenue dans l’ensemble des suppléments est considérable, il reste dommage de l’édition ne possède qu’un seul document inédit, à savoir l’entretien avec Dominique Maillet, critique de cinéma – les autres entretiens sont anciens tandis que les deux documentaires ont déjà été diffusés. Aussi, plus de la moitié des bonus ne sont pas en haute définition. Dommage.
L’image :
Non sans charme, l’image comporte un léger grain qui vient renforcer la puissance des nombreux gros plans, où les regards et expressions du visage en disent plus que les mots. Tout en gardant une certaine profondeur, l’ensemble jouit d’une netteté et d’une fluidité permises par une haute définition de toute beauté. Une remasterisation indéniablement réussie.
Le son :
Aucun désagrément n’est à signaler, les voix étant claires et l’ensemble parfaitement équilibré. Le film, qui aime les silences et laisse aux situations le temps de s’exprimer, ne poussera jamais votre home cinéma dans ses derniers retranchements. Évidemment, là ne repose pas l’intérêt de cette œuvre majeure de Maurice Pialat.
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Frédéric Mignard 17 janvier 2013
À nos amours - Maurice Pialat - critique
Retour sur l’adolescence du début des années 80. Magnifique récit d’une adolescence à fleur de peau, où la liberté de ton et de jeu sont jubilatoires. Bonnaire sauvageonne et solaire, rayonne, toutes griffes dehors. L’un des plus grands Pialat !
Le blu-ray est effectivement de toute beauté. La luminosité de l’image est remarquable.