Le 26 octobre 2018
Deux grands artistes se rencontrent. Deux artistes délivrant un projet à la mélancolie enivrante qui restera indubitablement gravée dans la mémoire pendant un petit moment.
- Durée : 50mn
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Sortie : le 12 octobre 2018
Notre avis : Que la productivité plus accrue de Scylla ne trompe pas l’auditeur sur sa qualité. Celui qui avait pris 4 ans pour sortir son second album enchaîne désormais les morceaux et les projets. L’incroyable Masque de Chair en 2017, Album Fantôme en 2018 (même si celui-ci regroupait des morceaux produits entre 2006 et 2017) et maintenant ce Pleine Lune jalonnent une discographie forcément bien plus fournie aujourd’hui. C’est la sempiternelle question de la quantité vs. la qualité qui refait surface lorsque l’on se penche sur l’activité du belge, question balayée d’un gros coup de patte par celui que l’on surnomme l’ogre au visage d’ange. Pour son premier album en collaboration avec Sofiane Pamart, pianiste au talent incontestable, Scylla efface un peu plus la bête pour laisser apparaître la fragilité de l’humain rêveur et distrait qu’il est. Une voix, un piano, voilà le programme de cette Pleine Lune. Le concept se résume avec simplicité tel un arbre cachant une forêt bien plus dense. Le minimalisme de la combinaison permet aux deux artistes de fusionner leur instrument respectif (la voix pour l’un, le piano pour l’autre) tout en gardant une forte présence à l’écoute. Ni Scylla ni Sofiane Pamart ne vient écraser l’autre, les deux existant ensemble tout en conservant leur individualité. Pleine Lune transperce l’âme par un mixage délicat résolument intimiste (distance entre Scylla et le micro du studio : 5mm). Le poète déploie une richesse musicale que lui offre une voix comme la sienne. La maîtrise du rap se conjugue à celle, plutôt nouvelle (dans une telle propension), du chant (et du slam accessoirement), pour une variété de sonorités toujours tournées vers la transmission des émotions.
- Copyright : Andy Sabkhi
Déployant une douce et persistante mélancolie le long de ses 50 minutes, Pleine Lune ne s’éloigne jamais de cette voie. Scylla peut amener ses cordes vocales vers des eaux très différentes, cela se produit toujours dans l’optique de provoquer cette sensation de spleen souvent très romantique. Le projet est celui de deux esprits dans la lune, voire trois, lorsque Isha vient poser sur Une Clope sur la Lune, testament de rêveurs, ceux qui ressentent le besoin de quitter la Terre pour l’observer incognito vue d’en haut. Notre unique satellite naturel revêt ici ce point d’évasion et d’isolement, deux sentiments dont Scylla nous faisait déjà part dans La Tête Ailleurs et qui revient tel un fil conducteur dans cet album. Que ce soit par l’image de la lune ou celle de la mer (L’Enfant et la Mer et Voilier), le rappeur développe son besoin de partir loin de notre civilisation aux prises d’une société déshumanisée. Par son écriture subtile et enlevée, il va chercher dans les profondeurs de notre être pour en faire remonter une boule qui restera coincée dans la gorge le long de l’écoute du projet. La puissance du belge provient en partie dans sa capacité à toucher quelque soit le niveau de lecture avec lequel on comprend ses textes. L’Enfant et la Mer secoue l’auditeur, qu’il le considère sous son premier degré, un enfant qui n’a d’yeux que pour la mer, ou sous son interprétation, celle du désir de suivre ses rêves pour éviter le fatalisme de devenir adulte.
La mélancolie s’exprime donc à travers les yeux d’un adulte qui n’aimerait pas en être un, ou qui plutôt n’aimerait pas évoluer dans un monde de grand tel qu’il le décrit. Dans chacune de ses variations poétiques Scylla ne rate jamais sa cible. La prise de risque est amoindrie par l’absence de morceaux plus légers, voire d’égotrip – on pense à Clash, morceau au concept original cependant inadapté à cet album, et donc absent – mais ce choix artistique intelligent offre un bloc homogène fait de déclinaisons, toutes plus magnifiques les unes que les autres, de l’esprit du rappeur. Les allusions à notre société, nombreuses, se comprennent et se ressentent particulièrement à travers la colère de Ecoutez-Moi, cri de désespoir sur le fil de la surenchère, mais surtout Blade Runner, symbiose saisissante du fond et de la forme. Scylla confirme, malgré sa réputation de "monstre", que sa musique parle à autrui parce qu’elle prend sa source dans une sensibilité nourrie par une empathie palpable. Celui qui se pense comme une réincarnation de centaines d’Hommes chante ses maux et ceux du monde avec un esprit collectif marquant. Cette empathie, il ne la véhicule pas seulement en traitant de l’humain en tant qu’entité globale, mais également en évoquant sa famille, quitte à s’auto-critiquer à travers Petit Prince. Son regard semble omniscient, dans une conscience de lui même, des autres, de ses proches. Cette posture dans laquelle il se met, les confessions qu’il pose sur papier, font qu’il adopte une ambiguïté qu’il ne manque pas de souligner. En se mettant dans la peau des autres, en touchant du doigt leur peine et douleur, il s’enferme dans sa bulle et se coupe du monde. A travers Solitude, Scylla explore cette facette, à la fois contradictoire mais compréhensive, de l’Homme qui en voit et qui en ressent trop.
Par sa manière de s’exprimer et en brisant le carcan du rap avec brio, le belge rejoint dans la puissance émotionnelle la portée que peut avoir un Jacques Brel. Les notes de Sofiane Pamart subliment et élèvent encore un peu plus la beauté d’écrits qui pourraient se suffire à eux-mêmes, mais pas que. Les solos de piano, Constellations et Nakama, envisageables comme des interludes, sont en réalité bien plus que ça. Il n’est pas question avec ces musiques d’agir comme une pause entre deux chansons de Scylla, mais bien de s’incorporer comme des morceaux, au même titre que le reste, au même titre que ses quelques solos à l’intérieur des autres pistes. Scylla et Sofiane Pamart font de Pleine Lune ce qu’il est, un voyage sensoriel touchant qui pourrait extraire une larme de la moins humaine des machines, ou de l’humain le plus machine.
- Copyright : Abyssal, 88 Touches, Urban [PIAS]
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