Dès le titre, le ton est donné : Pavanes et javas sur la tombe d’un professeur est un livre construit sur la contradiction. La java est une danse saccadée festive alors que la pavane, tombée en désuétude depuis le XVIIe siècle, est plutôt lente et majestueuse. Qu’importe, voilà qu’on les danse (symboliquement bien sûr) aux funérailles du professeur Bruno Bonopéra, mort subitement d’une rupture d’anévrisme. Revisitant le genre du roman épistolaire, Hubert Nyssen donne voix à cinq proches du disparu : Charles Miossec, le fidèle ami, les deux filles du professeur, sa compagne et une de ses étudiantes. La mort a cette qualité d’engendrer chez ceux qui restent une mécanique du souvenir fascinante et tour à tour, ce sont cinq perceptions radicalement différentes de cet érudit qui se dessinent. Une évidence puisque tout sépare ces personnages : du désir de vengeance à l’admiration en passant par la jalousie, ils égrènent les événements qui ont marqué une vie en tentant de leur donner un sens à travers le prisme de leur propre existence.

Mais étrangement le miracle littéraire s’opère. En grand ordonnateur des mots, Hubert Nyssen exulte et parvient à remettre de l’ordre dans cette dissonance verbale. Et pour cause, tous ces témoins ont finalement en commun la quête des mystérieux vingt-sept petits carnets qu’a tenus le professeur durant toute sa vie. Ils sont persuadés que ce journal renferme la vérité d’un homme qui n’a eu de cesse de leur échapper, toujours à courir après l’écriture et la poésie comme on cherche le grand amour. Et si le narrateur final délivre une des clés de ce prodigieux roman à tiroirs, c’est en définitive au lecteur que revient la lourde tâche de définir son rapport à la vie et au langage : une expérience littéraire jubilatoire.