Le 1er septembre 2018
Les USA ont eu Simon & Garfunkel, le Royaume Uni Belle and Sebastian, et si la France se rêvait dans la musique folk rêveuse d’Orouni ? Interview avec l’auteur-compositeur Rémi Antoni qui nous fait fondre.
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– Orouni en concert aux Trois Baudets, le 11 septembre à 20h
aVoir-aLire : En 2018, tu viens de finir ton 4e album et un EP. Qu’est-ce qui a changé depuis ton premier opus il y a plus de dix ans ?
Mon premier album a été enregistré, interprété et mixé par moi tout seul, chez moi. Le quatrième disque a été mis en boîte au studio Tropicalia par Guillaume Jaoul, qui a joué un rôle central dans la production et également mixé les chansons. De nombreux musiciens extérieurs (basse, batterie, guitare, claviers, bois, cuivres, cordes) ont joué sur ce nouvel album, et en son sein, il existe même une chanson que j’ai composée mais sur laquelle je suis absent en termes d’interprétation. Donc on pourrait dire qu’entre le premier album et le nouveau, presque tout a changé. Par ailleurs, nous sommes maintenant cinq sur scène alors que j’étais seul à mes débuts, et il me semble que le projet suscite aujourd’hui un intérêt croissant, notamment de la part de la presse papier et de certaines radios, ce qui était impensable au départ.
aVoir-aLire :La pop folk que tu interprètes est plutôt rare de par chez nous... T’as l’impression d’être un cas à part dans le paysage actuel ?
La musique pop-folk n’est pas si rare en France. Ainsi, je me sens des affinités avec O, Thousand, Mina Tindle, Forever Pavot, Dorian Pimpernel, Midget !, Le SuperHomard, SuperBravo, The Rodeo ou encore Athanase Granson, ce qui fait déjà une dizaine de formations. Certes, c’est peut-être aujourd’hui ce qu’on appelle les "musiques urbaines", dans un croisement avec la chanson française et les années 1980, qui excitent certains médias, mais je n’ai pas spécialement l’ambition de faire la Une de magazines féminins ou lifestyle. Et même si, dans mon activité, je tisse des liens avec d’autres disciplines comme le cinéma, l’architecture, la photo ou la littérature, la musique me passionne en tant que domaine en soi. D’où, peut-être, une production qui aborde mélodie, harmonie, structure, arrangements avec autant d’égards et peut sembler décalée par rapport à certaines sorties actuelles très visibles. Mais ce sont ces éléments qui m’ont amené à la musique lorsque j’étais adolescent, c’est pourquoi je continue à les creuser aujourd’hui, car ils continuent de m’émouvoir. L’avantage est que je peux difficilement être taxé d’opportunisme, mais qui sait, la mode va peut-être tourner...
aVoir-aLire : Orouni, c’est un projet solo ? Ou ce sont des rencontres vocales et des aventures musicales, comment est-ce que tu vois ta carrière ? Au prisme de la scène, de tes sorties de long ?
Ce qui définit Orouni, c’est que c’est moi qui compose et écris les chansons (cela me paraît bien plus simple que la définition de ce qu’est le Velvet Underground entre 1965 et 1973, ou Wings, en termes de membres et d’écriture). Ensuite, quand il s’agit de prendre des décisions concernant les arrangements, les interprètes et la production, mon souhait est de faire en sorte que les morceaux me plaisent le plus possible, et cela signifie que je dois abandonner une part de mon emprise directe sur eux, car je ne suis pas toujours leur meilleur interprète ou producteur. Cela me satisfait amplement de limiter mon rôle à celui du "compositeur", car j’ai déjà du mal, parfois, à me décider au sujet de la structure d’une chanson, ou à terminer ses paroles. De plus, je ne tiens pas particulièrement à me mettre en avant en tant que personne : je trouve que cela peut vite tourner au culte de la personnalité. Je n’ai pas besoin de connaître le visage, la vie privée ou le style vestimentaire de quelqu’un dont j’apprécie la musique. Cette dernière me suffit, car l’important ce sont les chansons. Donc, lorsque les miennes peuvent être améliorées par le chant d’Emma Broughton, la basse de Steffen Charron, la trompette de Raphaël Thyss et la batterie d’Antoine Kerninon, Jean Thevenin, Dimitri Dedonder ou Raphaël Léger, je me dis qu’il faut aller dans ce sens.
- Crédit : Florient Duboe
Je conçois une chanson comme un mur dont la première brique serait la composition. Elle doit être suffisamment robuste pour soutenir le tout. D’autre part, sans elle, vous ne pouvez pas ajouter la deuxième brique : l’interprétation. Mais si vous voulez que votre mur soit solide, rien ne sert de poser une brique fissurée sur une brique solide : votre mur n’irait pas très haut. Donc il faut choisir les meilleurs éléments à chaque étape de l’édification. Toutefois, la dissociation entre le compositeur et l’interprète semble causer du trouble dans certains esprits, or c’est monnaie courante chez de nombreux groupes, comme Massive Attack, Major Lazer, ou, dans un domaine plus pop, Dorian Pimpernel que je cite plus haut. Il faut peut-être que le public s’habitue à cette dissociation, cette multiplicité au sein de l’unité d’un projet musical, pour l’accepter. Par exemple, les trois premières chansons de Revolver des Beatles comportent trois interprètes principaux différents (George Harrison, puis John Lennon, et enfin Paul McCartney). Qui cela choque-t-il ? Sur la sixième chanson, de surcroît, Ringo Starr interprète une composition de Paul. Or nul ne se demande aujourd’hui si Yellow Submarine est bien une chanson des Beatles ou non.
- Crédit : Eric Auv
aVoir-aLire : Sur l’EP Somewhere in Dreamland, pourrait-on définir ta rencontre avec Emma Broughton comme celle inespérée entre un Belle et Sebastian hexagonal ?
Si j’interprète correctement ta question, tu fais allusion à la collaboration entre Isobel Campbell (Belle) et Stuart Murdoch (Sebastian), rencontre à la lisière entre réalité et fiction relatée dans le livret de Tigermilk, le premier album de Belle and Sebastian. Si ce groupe est l’un de ceux qui m’ont donné envie de composer et écrire mes chansons, je ne suis pas sûr que l’on puisse pousser la comparaison plus loin. En effet, Emma Broughton vient plutôt du jazz, et sa voix ne m’a jamais fait penser à celle d’Isobel Campbell. De plus, la rencontre que tu évoques coïncide avec les débuts de Belle and Sebastian, or j’ai commencé à travailler avec Emma après avoir sorti déjà deux albums. Enfin, Belle n’est plus associée à Sebastian : Isobel Campbell ne fait plus partie du groupe écossais aujourd’hui. Toutefois, notre travail commun avec Emma est inespéré dans la mesure où je la vois un peu comme la cinquième pièce du puzzle Orouni. Elle permet de le rendre complet, équilibré et presque magique. En effet, suite à l’EP Somewhere In Dreamland, qu’Emma chante intégralement, nous avons touché des médias et professionnels qui ne se montraient pas particulièrement intéressés auparavant. Preuve que j’ai bien fait de déléguer le chant... Mais rendons au label ce qui est au label : l’idée de cet EP est à mettre au crédit des Disques Pavillon.
aVoir-aLire (taquin) : Tu n’as pas de complexe face à son anglais sur scène ?
J’en ai d’autant moins que je lui confie de plus en plus de chansons à chanter... Mais Emma ne me donne pas de complexe, elle me tire vers le haut. Nous avons ainsi aujourd’hui le même professeur de chant.
- (C) Julia Borel
aVoir-aLire : Quelles sont tes influences ? Tu n’as pas l’impression de vivre à la mauvaise époque ?
Je suis venu à la musique assez tardivement, car lors des premières années de mon existence, j’étais environné par les chansons de l’époque, soit la variété des années 80. C’est l’esthétique sonore dont je me sens aujourd’hui le plus éloigné. Mais en ce temps-là, je me disais que si c’était ça, la musique, ça ne me plaisait pas du tout. Le problème, c’est que j’ignorais qu’il existait autre chose... Quelques années après, j’ai commencé à m’intéresser sérieusement à la pop avec les Kinks, Bob Dylan et Simon and Garfunkel, par exemple. Et pour répondre à ta question, je me souviens que, lorsque j’étais adolescent, j’aurais presque voulu vivre dans les années 60. En effet, dans les années 90, tout cet esprit novateur, contestataire, créatif et pop semblait s’être évanoui. Par la suite, j’ai écouté Curtis Mayfield, Desmond Dekker, Paco de Lucía, Ladytron. Plus tard encore, j’ai découvert les musiques malienne, sénégalaise, congolaise, sud-africaine (grâce aux compilations African Pearls et Soundway), cela s’entend dans Grand Tour et devrait être encore le cas sur notre nouvel album. Or, si j’avais été adolescent dans les années 60, je n’aurais peut-être jamais découvert certains groupes comme Orchestra Baobab ou Les Grands Maquisards, donc mes influences seraient moins variées. Et même si j’aime au plus haut point certaines productions anglo-saxonnes qui ont 50 ans, je trouve intéressant de pouvoir les écouter avec du recul, ainsi que d’avoir la chance d’entendre des musiciens d’aujourd’hui, comme Dirty Projectors, Julia Holter ou The Dø.
aVoir-aLire : On célèbre cette année les 50 ans de Mai 68 et la première année au pouvoir de Macron. Ça t’inspire quoi ?
Né trop tard pour avoir pu assister à Mai 68, je ne suis pas non plus historien. Ma connaissance de cette période n’est donc pas précise. Mon impression est que Mai 68 a consisté, entre autres, en une révolte contre l’ordre établi et les inégalités ainsi qu’une lutte pour la conquête de nouveaux droits. Aujourd’hui, Emmanuel Macron laisse peu de place au dialogue et pratique le pouvoir avec une certaine arrogance. En réduisant l’aide au logement et supprimant l’impôt de solidarité sur la fortune, il semble peu préoccupé par la réduction des inégalités. Par ailleurs, plusieurs des ses "réformes" me paraissent relever d’une régression sociale, favorisant la compétition au détriment d’une approche plus collective et solidaire. Je pourrais également évoquer le traitement des migrants depuis un an (alors qu’Emmanuel Macron avait indiqué qu’il était du devoir de la France de les accueillir) ou la tentative de nouer un lien particulier avec certaines religions (ce que ne prévoit pas le principe de laïcité). En tant que candidat, il se targuait d’ouverture et de progressisme, mais c’était une illusion. Ainsi, aujourd’hui, son gouvernement accorde peu de considération à ceux qui n’ont pas eu la chance de naître au bon endroit ou avec le bon patrimoine. Je comprends donc la contestation que sa politique suscite. Comme en mai 1968, cette révolte me semble due à un recroquevillement sur des valeurs conservatrices une injustice sociale trop considérée par le pouvoir comme une fatalité.
aVoir-aLire : Ton univers est tellement visuel, indissociable d’une empreinte bio, avec des paysages délicieusement bucolique, hors du temps. C’est ton côté Corse ou écolo ?
Je suis autant attiré visuellement par les ambiances urbaines que champêtres. Sur Grand Tour, les morceaux font constamment l’aller-retour entre ville et nature. Mais comme je ne vis pas en milieu rural (même si j’y retourne régulièrement), peut-être que j’essaie de contrebalancer cela par l’utilisation de paysages plutôt campagnards dans les affiches de concerts. Je me rends compte que si je fais appel à de telles photos, c’est aussi parce qu’elles présentent des éléments suffisamment vagues (mer, arbres, ciel) afin de ne pas imposer quelque chose de trop précis à celui qui les regarde. Or c’est ce que je recherche avec ma musique (d’où l’anglais dans mes paroles, ou l’utilisation d’une mélodie avec différentes suites d’accords possibles et inversement) : proposer un contenu qui ait une forme, une couleur, une patte, mais en laissant à l’auditeur de la place pour évoluer autour ou à l’intérieur. Et j’ai l’impression que l’esprit peut davantage vagabonder dans la nature que sur les Champs-Élysées.
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