Artaud ou le poète insurgé
Le 19 janvier 2005
Ses derniers mots écrits furent : "de continuer à/faire de moi/cet envoûté éternel/etc etc". Écrivain de l’excès, poète fou, Antonin Artaud nous a laissé des textes incandescents et envoûtants où soufflent la poésie et la vie. A redécouvrir à l’occasion de la parution de ses Œuvres dans la collection Quarto chez Gallimard.
- Auteur : Antonin Arthaud
- Editeur : Gallimard
L'a lu
Veut le lire
Il tempêtait, criait, rugissait de tout son corps pour dénoncer l’ineptie et défendre l’intelligence et le beau. Sa parole comme son regard hypnotique nous hantent encore aujourd’hui comme pour mieux nous rappeler comment des hommes de génie peuvent à eux seuls irriguer des années durant la société de leur sève spirituelle. Qui plus est, les batailles et colères d’Antonin Artaud restent toujours d’actualité à l’heure du "marketing culturel" et de "l’industrie des loisirs".
Ce poète insurgé rejetait en effet avec dédain tout assujettissement de l’art à la logique marchande, toute réduction du beau à un simple produit culturel et plus globalement toute menotte matérialiste.
Non, Artaud avait d’autres chats à fouetter, et quels chats puisqu’il lui fallait mener à bien l’impossible : partir à la conquête d’une Vie totalement irriguée par le souffle de la poésie alors que déjà il devait se débattre lui-même avec la maîtrise de sa propre pensée. De cette lutte de tous les instants résultent des textes qui sont autant d’innombrables "vitraux colorés", ces fenêtres qui ouvrent vers "la vie en beau" que Baudelaire réclamait déjà "avec une haine aussi soudaine que despotique" dans le Spleen de Paris.
Autant dire que la parution de ces Œuvres d’Artaud dans la collection Quarto/Gallimard est un événement en soi puisqu’elle nous offre une vue d’ensemble des textes d’Antonin Artaud, des premières réflexions de jeunesse sur le théâtre par exemple jusqu’aux psalmodies magiques, réunies sous le titre général de "Pour en finir avec le jugement de Dieu", écrites en 1947, la somme totale comportant par ailleurs un grand nombre de textes inédits.
Mais plonger dans ces quelque 1700 pages s’avère une expérience fascinante, si ce n’est étourdissante. La pensée d’Artaud est en effet aussi luxuriante qu’une jungle qui volontairement n’a jamais été circonscrite à un périmètre donné.
Théâtre, cinéma, littérature... Artaud abordait chaque domaine tel un pirate à l’abordage d’un trésor : avec violence, rouerie et une flamme passionnelle jamais éteinte puisqu’en vérité il ne s’agissait somme toute que d’enjamber les barrières du rationalisme et saisir l’essence même de la Vie.
Entrer dans l’œuvre d’Artaud, que ce soit par ses textes les plus connus comme L’Ombilic des limbes, Le théâtre et son double, ou par ces bribes de cris lancés au hasard de lettres, consiste ainsi toujours à suivre une liane qui vite s’enroule au cœur d’une forêt d’idées qui nous fascinent autant qu’elles peuvent nous perdre. Pourtant, ils furent nombreux à tenter de s’approprier Artaud comme porte-drapeau. Ils furent ainsi tout autant à se tromper et passer à côté du message du poète insurgé comme nous le rappelle en forme d’avertissement Evelyne Grossman à qui on doit ce magnifique travail d’édition. Reste au lecteur à se perdre dans l’enchevêtrement des mots d’Artaud, arpenter sa syntaxe éclatée, se laisser illuminer par ses fulgurances verbales, et flotter enfin au fil de cette œuvre incandescente, quasi magnétique, pour effleurer une parcelle de l’infini.
Pour aller plus loin :
– Artaud et le théâtre convulsif
– Antonin Artaud, aux portes de la perception
Antonin Artaud, Œuvres (édition établie, présentée et annotée par Evelyne Grossman), Gallimard, coll. "Quarto", 2004, 1792 pages, 35 €
Votre avis
Pour participer à ce forum, vous devez vous enregistrer au préalable. Merci d’indiquer ci-dessous l’identifiant personnel qui vous a été fourni. Si vous n’êtes pas enregistré, vous devez vous inscrire.
aVoir-aLire.com, dont le contenu est produit bénévolement par une association culturelle à but non lucratif, respecte les droits d’auteur et s’est toujours engagé à être rigoureux sur ce point, dans le respect du travail des artistes que nous cherchons à valoriser. Les photos sont utilisées à des fins illustratives et non dans un but d’exploitation commerciale. Après plusieurs décennies d’existence, des dizaines de milliers d’articles, et une évolution de notre équipe de rédacteurs, mais aussi des droits sur certains clichés repris sur notre plateforme, nous comptons sur la bienveillance et vigilance de chaque lecteur - anonyme, distributeur, attaché de presse, artiste, photographe. Ayez la gentillesse de contacter Frédéric Michel, rédacteur en chef, si certaines photographies ne sont pas ou ne sont plus utilisables, si les crédits doivent être modifiés ou ajoutés. Nous nous engageons à retirer toutes photos litigieuses. Merci pour votre compréhension.