Le 19 janvier 2005
Artaud théoricien du théâtre. Bonnes questions mais réponses parfois déconcertantes.
Même s’il n’a monté que quelques pièces, pour un nombre très limité de représentations, les théories d’Antonin Artaud continuent d’influencer les metteurs en scène (Brook, Mnouchkine...). Posant les bonnes questions, il apporte, néanmoins, quelques réponses déconcertantes...
"Je pose des principes rigoureux, inattendus, d’aspect rébarbatif et terrible, et au moment où l’on s’attend à me voir les justifier je passe au principe suivant. Pour tout dire la dialectique de ce Manifeste est faible." Dans cette lettre adressée à Jean Paulhan quelques jours avant la parution du Théâtre de la cruauté, l’insatisfaction d’Antonin Artaud montre le degré de complexité de sa théorie. "Ce n’est pas sur le plan social que l’action du théâtre s’étend. Encore moins sur le plan moral et psychologique." Il s’agit plus certainement de trouver une dimension métaphysique, de chercher dans les mythes, des histoires, des signes, permettant aux spectateurs de devenir actifs, de ne plus se positionner comme de simples voyeurs, sans pour autant s’embarquer dans une démarche rationnelle. A travers une nouvelle utilisation de l’espace, des voix ou des corps, Artaud pose les bases d’un théâtre qui aurait retrouvé toute sa puissance grâce à des forces occultes, propres à provoquer des ambiances convulsives. "Transgresser les limites de l’art et de la parole."
Il considère, en effet, que le véritable créateur n’est pas l’auteur mais le metteur en scène, érigé en démiurge. Il veut "en finir avec le chefs-d’œuvre" et inventer un nouveau langage qui ne serait pas cadenassé dans un texte. Il règle ainsi ses comptes avec l’Occident, se tourne vers l’Orient et plus précisément vers le théâtre balinais qu’il a, semble-t-il, découvert au cours de l’Exposition coloniale de 1931. "[Le théâtre balinais] qui tient de la danse, du chant, de la pantomime, de la musique, [...] remet le théâtre à son plan de création autonome et pure, sous l’angle de l’hallucination et de la peur." Grâce à cette référence, Artaud tend à bien distinguer théâtre et littérature. D’un côté, un spectacle vivant, de l’autre, un art figé. Car, selon lui, le langage ne peut pas se limiter à de simples mots mais doit aussi s’exprimer par des cris, de la musique, des gestes ou les effets de la réfraction lumineuse. C’est de cette façon que l’on parviendra, selon lui, à représenter le réel avec le plus de justesse.
A partir de ces postulats, il élabore une théorie où l’espace est complètement redéfini, où l’œuvre est conçue à la manière des partitions musicales afin de donner une idée la plus juste possible des intonations de la voix et des contorsions du corps. Dans cette perspective, il rêve d’une salle sans cloisonnement où le spectacle se déroulerait tout autour du spectateur, où le public serait pris dans l’action et où l’on pourrait jouer avec la perspective et la hauteur des lieux. Pour résumer sa vision, il parle d’une architecture qui se rapprocherait "de certains lieux sacrés". Et c’est bien cette dimension ésotérique, religieuse, constamment présente dans ses textes, qui intrigue et laisse un peu pantois. Si on devait les suivre à la lettre, il y aurait certes une "autonomie" entre le théâtre et les autres disciplines artistiques mais pourrait-on encore parler d’art ? Quelle différence y aurait-il entre la prière ou le culte voué à une quelconque divinité autoproclamée - Raël, par exemple - et de tels spectacles ? Même si Artaud, en son temps, a eu le mérite de poser certaines bonnes questions, ses réponses nous renvoient à un monde où les émotions, aussi fortes et belles soient-elles, se seraient substituées au sens.
Lire aussi :
– Œuvres d’Antonin Artaud
– Antonin Artaud, aux portes de la perception
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