Le 19 janvier 2005
Artaud a couru toute sa vie après une pensée qui lui échappait. Portrait de "l’autre".
Une écriture de la folie dans l’espoir incessant de se reconstruire, Artaud a couru toute sa vie après une pensée qui lui échappait. Portrait de "l’autre".
"Un obsédé, un fou, n’en doutons pas, affirmait Gide, mais aussi un prodigieux acteur, un cabot, un pitre même, soucieux, malgré tout, de l’effet, conscient de son délire, et en jouant."
Tout commence à Marseille en 1896, où Antonin Artaud apparaît, d’un père capitaine au long cours et d’une mère idolâtrée, tous deux cousins germains. La maladie ne tarde pas à se profiler. On l’appelle alors "dépression" et elle l’empêche de se présenter au bac mais pas au service militaire. Il n’y restera que huit mois avant d’être renvoyé à ses foyers. L’écriture l’avait déjà démangé à l’adolescence, elle le rattrape pour de bon lors de sa première hospitalisation, en 1917. Il y rencontrera aussi l’opium dont il essaiera vainement de se sevrer. Le diagnostic ne sera réellement posé qu’en 1923. Artaud décrira ses symptômes avec une fulgurante lucidité : "je suis à la poursuite de mon être intellectuel". L’écriture sera une quête incessante et désespérée pour tenter de saisir l’existence de sa pensée.
Suivront des années d’hyperactivité créatrice. Il écrit et joue au théâtre, se surréalise brièvement mais préfère décidément l’individu au dogme. C’est l’époque des écrits sur le théâtre (Théâtre de la cruauté, Le théâtre et son double) , du Moine, d’Héliogabale. Voyage au Mexique, en 36. Le délire, déjà bien nourri, s’étaye encore de nouvelles expériences sensorielles et hallucinatoires, peyotl, vaudou, qui le mènent inévitablement à un rapatriement, au bout de dix mois. Il revient hanté par une vision du monde faite de symboles, d’interprétations. On le vole, on le persécute, puis il reçoit l’illumination mystique.
Son délire l’expédie à l’hôpital de Ville-Evrard en 1939. Difficile d’imaginer, de l’extérieur, les conditions d’hospitalisation, pendant la guerre, dans les établissements psychiatriques. Dans une volonté délibérée d’extermination des malades mentaux, les budgets sont suspendus et les structures d’accueil devront faire face sans un sou [1].
Sa mère obtient son transfert à Rodez, en France libre. Il y restera trois ans, marqués par une frénésie littéraire et picturale. Une écriture de la souffrance, une lutte perdue d’avance contre la maladie. Il finira sa vie à l’asile d’Evry-sur-Seine, en 1948, gavé de laudanum, vaincu par un cancer digestif. Dix ans plus tôt, le psychiatre de Sainte-Anne justifiait de ce certificat le maintien de l’internement : "Prétentions littéraires peut-être justifiées dans la limite où le délire peut servir d’inspiration." A moins que l’inspiration n’ait servi le délire...
Lire aussi :
– Œuvres d’Antonin Artaud
– Artaud et le théâtre convulsif
[1] Voir à ce propos le film indispensable de Paule Muxel et Bertrand de Solliers, Histoire(s) autour de la folie, sur l’histoire de la psychiatrie au XXe siècle
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