Le 29 août 2023
Le film américain le plus audacieux de Louis Malle. Une proposition originale de théâtre filmé, doublée d’une réflexion intéressante sur les professionnels de la scène.
- Réalisateur : Louis Malle
- Acteurs : Wallace Shawn, André Gregory, Jean Lenauer
- Genre : Comédie dramatique, Expérimental
- Nationalité : Américain
- Distributeur : Malavida Films
- Editeur vidéo : Arte Vidéo
- Durée : 1h52mn
- Reprise: 6 septembre 2023
- Titre original : My Dinner with Andre
- Date de sortie : 2 mars 1983
L'a vu
Veut le voir
– Reprise en version restaurée : 6 septembre 2023
– Année de production : 1981
Résumé : New York. Wallace Shawn, dramaturge sans succès, retrouve au restaurant André Gregory, metteur en scène de théâtre. D’abord réticent, il se laisse progressivement aller au jeu de la conversation...
Malavida propose au cinéma le 6 septembre 2023 la rétrospective Louis Malle, "gentleman provocateur partie 3" qui réunit trois restaurations Gaumont, Atlantic City, Black Moon et My Dinner with André, ainsi que Vanya, 42e rue.
Critique : Tourné en 1981, My Dinner with André ne sortit que deux ans plus tard, dans un circuit confidentiel de salles art et essai. Situé dans la période américaine de Louis Malle allant du sulfureux La petite (1978) au documentaire À la poursuite du bonheur (1986), le film suit le triomphal Atlantic City (1980), qui venait de remporter le Lion d’or à Venise et avait été nommé aux Oscars dans cinq catégories. Malle a donc voulu se faire plaisir et eut davantage de marge de manœuvre avec ce petit film indépendant new-yorkais. Avec le recul, cet opus apparaît comme son œuvre la plus expérimentale, avec Black Moon (1975), mais sans la radicalité de cette dernière. Le scénario est presque une mise en abyme puisqu’il a été écrit par les deux acteurs, Wallace Shawn et André Gregory, qui incarnent des personnages ayant leurs propres noms, et proches de ce qu’ils étaient dans la vie. À l’exception des toutes premières et dernières scènes, filmées avec voix off en extérieur, tout le récit se déroule dans un lieu unique, à savoir un restaurant cossu et guindé de Manhattan, dans lequel Wallace a accepté, un peu à contrecœur, d’être invité par André. Le premier est un ancien enseignant latiniste, dramaturge raté, qui cachetonne en jouant de rares petits rôles dans des théâtres de la ville ; le second est un metteur en scène à succès qui avait jadis monté le premier spectacle de Wallace. Mais qu’est-ce que les deux hommes perdus de vue depuis des années auront bien à se dire ?
- © Malavida, Gaumont
Les films basés essentiellement sur les dialogues, et axés sur deux personnages (voire quelques figures secondaires en complément) nécessitent pour la plupart trois qualités : un texte sans failles, des interprètes impeccables, et une réalisation apte à assumer le dispositif de théâtre filmé, tout en proposant un regard de cinéma. L’un des étalons est à cet égard Le limier de Mankiewicz, auquel on pourrait ajouter des œuvres de Bergman (Sonate d’automne, cité dans le film) mais aussi le Rohmer de Ma nuit chez Maud, et des productions de Guitry ou Pagnol. Parfois, deux de ces conditions seulement sont réunies : il manque au Souper de Molinaro un projet de septième art, quand Noir péché des Straub ne brille pas par le charisme de ses acteurs (les auteurs privilégiant l’écoute d’un texte). Certains longs métrages n’en réunissent aucune, à l’instar du récent Une nuit d’Alex Lutz. La bonne nouvelle, avec My Dinner with André, c’est que les trois sont remplies, avec quelques réserves pour chacune. En premier lieu, l’essentiel de l’histoire se concentre sur la conversation entre Wallace et André, de la commande des plats à l’addition. L’on assiste alors à des échanges intéressants sur la difficulté à gagner sa vie dans le monde du spectacle, mais aussi sur les limites de la réussite professionnelle. En fin de compte, Wallace, qui partait avec un sentiment d’infériorité et de jalousie, réalise qu’il n’a pas grand-chose à envier à André, sans être pour autant pleinement satisfait de son sort. La richesse matérielle d’André ne lui a pas épargné des claques familiales, et il semble douter de sa véritable valeur artistique, quand Wallace avoue être heureux de boire le café refroidi qu’il avait oublié d’avaler la veille. En évitant les poncifs sur l’argent qui ne fait pas le bonheur, le scénario se focalise avec subtilité sur le bilan nuancé de deux existences, à un moment de la vie où la jeunesse nous a quittés, sans pour autant avoir été rattrapé par les affres de la vieillesse. On décroche parfois, tant les dialogues sont abondants, et l’on se surprend à être soulagé quand Wallace et André passent directement du plat de résistance au café (plus Amaretto pour le premier)…
- © Malavida, Gaumont
En second lieu, la mise en scène assume un matériau qui pourrait relever du théâtre : la caméra accompagne sans esbroufe la discussion, plans fixes alternant avec champs-contrechamps. On ne partage pourtant pas le point de vue de Raphaël Bassan qui, tout en reconnaissant les qualités du récit, regrettait une esthétique télévisuelle : « On se prend à rêver de ce qu’un Rivette, un Cassavetes ou un Robert Kramer auraient pu tirer d’un tel matériau. Ici, hélas, nous avons l’impression d’assister à une interminable séquence de quelque dramatique télévisée » (La Revue du Cinéma, la saison cinématographique 1983, p. 134). C’est précisément la répétition de cette manière de filmer qui crée au bout d’une heure cinquante une authentique émotion de cinéma, sans la distanciation souhaitée par les défenseurs du cinéma direct. Cette précision étant apportée, le film aurait peut-être gagné en fluidité avec un quart d’heure en moins (mais peut-être au prix du sacrifice de la contemplation, c’était là le dilemme). En troisième lieu, les deux comédiens font le job avec professionnalisme, sans faire partie de ceux qui font le plus rêver. Il est à noter que Wallace Shawn a été également vu dans des films de Woody Allen, jusqu’à Rifkin’s Festival dont il tenait le rôle principal. Il faut donc (re)découvrir My Dinner with André qui confirme l’éclectisme et l’élégance du cinéma de Louis Malle, réalisateur insolite, à l’égard des chapelles et dogmes.
Galerie photos
Votre avis
Pour participer à ce forum, vous devez vous enregistrer au préalable. Merci d’indiquer ci-dessous l’identifiant personnel qui vous a été fourni. Si vous n’êtes pas enregistré, vous devez vous inscrire.
aVoir-aLire.com, dont le contenu est produit bénévolement par une association culturelle à but non lucratif, respecte les droits d’auteur et s’est toujours engagé à être rigoureux sur ce point, dans le respect du travail des artistes que nous cherchons à valoriser. Les photos sont utilisées à des fins illustratives et non dans un but d’exploitation commerciale. Après plusieurs décennies d’existence, des dizaines de milliers d’articles, et une évolution de notre équipe de rédacteurs, mais aussi des droits sur certains clichés repris sur notre plateforme, nous comptons sur la bienveillance et vigilance de chaque lecteur - anonyme, distributeur, attaché de presse, artiste, photographe. Ayez la gentillesse de contacter Frédéric Michel, rédacteur en chef, si certaines photographies ne sont pas ou ne sont plus utilisables, si les crédits doivent être modifiés ou ajoutés. Nous nous engageons à retirer toutes photos litigieuses. Merci pour votre compréhension.