Le 15 avril 2003
- Voir le dossier : Marguerite Duras
Peut-on dire que la biographie ait encore un sens pour évoquer une femme qui n’a jamais pu dissocier sa vie et son oœuvre ?
Peut-on dire que la biographie ait encore un sens pour évoquer une femme qui n’a jamais pu dissocier sa vie et son œuvre, qui s’est sans cesse ingéniée à brouiller les pistes, à faire de sa vie une œuvre et de l’œuvre une vie. "Si je l’ai écrit, c’est que ça a existé", aimait-elle à dire, esquivant du même coup les questions intrusives. Si l’écriture a pu être une mise à distance de la douleur, elle s’est aussi centrée sur cette blessure, dans une spirale narrative de plus en plus étroite, jusqu’à la réappropriation de l’histoire, jusqu’à s’écrire à la première personne.
Car c’est bien toute l’ambiguïté de cette oeuvre, puisée au plus profond de l’intimité, ressassant à l’infini les mêmes obsessions pour réécrire une vie. Réécrire, peut-être pour parvenir à ce que Viviane Forrester appelle "le travail de l’oubli". Le point de départ sera cette concession incultivable, achetée par la mère au bord du golfe de Siam. Une vie misérable de petits colons blancs... La mère et ses accès, ses excès, sa violence.
Tout est déjà en place dans La vie tranquille. Le conflit familial, la solitude, l’être extérieur aux choses. Mais Duras n’ose pas encore. Elle sait sans doute déjà que c’est cette histoire qu’elle doit raconter, qu’elle ne peut pas faire autrement que de raconter. Elle y reviendra dans Un barrage contre le Pacifique, où les choses se feront plus précises, plus proches. La structure familiale y est presque, même si les deux frères sont réunis dans le seul personnage de Joseph. Le décor est là, pour la première fois. L’Indochine des origines. Il lui faudra plus de trente ans pour parvenir enfin à écrire cette histoire. Ce sera L’amant, en 1984. Le barrage était passé tout près du Goncourt. L’amant sera couronné, comme une revanche, une répétition de l’histoire, puisque celle qui s’y raconte est la même. Plus tard, L’amant de la Chine du Nord redira encore l’intime, dans ce qui aurait pu être un scénario possible de L’amant, juste après la sortie du film d’Annaud. C’est le récit qui la mènera le plus loin dans sa mise à nu, dans l’impudeur qu’elle revendiquera comme une planche de salut. Elle y parlera encore de la blessure jamais refermée de la mort du petit frère, de cet amour brisé.
Duras se livra pendant toute sa vie à un incessant va-et-vient entre la vérité et le mensonge, entre l’appropriation et la mise à distance de sa vie. Des images récurrentes, comme des balises, des mises en symboles du passé. La mendiante, errante, rejetée par la mère, "vieille enfant enceinte", qui hurle dans la nuit. Anne-Marie Stretter, qui hante l’oeuvre de sa beauté fantôme. Le meurtre, qui assiège la pensée de désirs inavouables, qui immobilise le drame dans une lenteur sacrificielle. Moderato Cantabile... Dix heures et demi du soir en été...
Elle est cette mendiante qui erre à travers les traces du passé pour se construire une histoire. Elle est celle qui ramasse les épluchures de mémoire pour les jeter à la lumière. Elle est celle qui s’enfonce dans la nuit, en suivant inlassablement le fleuve, pour ne pas se perdre. Alors l’histoire se raconte, vraie ou fausse... Qu’importe. Elle devient le mythe éternellement exploré, inlassablement réécrit, le socle sur lequel se construit l’oeuvre. Duras se fait l’héroïne du roman de sa propre vie et traverse le temps à rebours, vers la naissance de la mémoire.
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