Le 2 décembre 2020
Si Fincher rate sans doute la case « grand film », il y a fort à parier qu’il s’en fiche, et a pris un plaisir immense à réaliser son onzième long-métrage, d’une élégance et d’une maîtrise rares, qui peut toutefois laisser son spectateur sur la touche.
- Réalisateur : David Fincher
- Acteurs : Amanda Seyfried, Gary Oldman, Charles Dance, Tom Burke, Lily Collins, Tuppence Middleton, Arliss Howard
- Genre : Drame, Noir et blanc
- Nationalité : Américain
- Distributeur : Netflix
- VOD : Netflix
- Date de sortie : 4 décembre 2020
Résumé : Mank, c’est Herman Mankiewicz. Et Herman Mankiewicz, c’est ni plus ni moins l’homme à l’origine du vénéré Citizen Kane (Orson Welles, 1941). Personnage assez antipathique (sa femme Sara est la « pauvre Sara »), il accepte d’écrire ce scénario pour l’argent. Etalée sur deux époques différentes, le récit s’attache à décrire le processus de création de ce scénario, autant que le contexte hollywoodien de l’époque.
Critique : Passons les évidences. Mank est d’une beauté plastique impeccable. La réalisation classieuse de Fincher est soulignée par l’éclairage sublime d’Erik Messerschmidt (également à la photo de Mindhunter, la série de Fincher sur Netflix). La mise en scène, si elle reste sage, est tout à fait élégante, et tout l’aspect technique du film force le respect. Mais attendions-nous autre chose de Fincher ? En clair : si Mank avait été un premier long métrage, chacun aurait sans doute crié au génie. Mais le privilège des cinéastes reconnus est de susciter des attentes autrement plus élevées. Et heureusement, il y a autre chose à retirer de cette production que sa superbe plastique.
On en vient à se questionner sur le thème central du film. Hollywood ? C’est un thème, oui, mais ce n’est peut-être pas le cœur d’une réalisation. Le processus de création ? Certes, mais idem. En réalité, on touche là du doigt la grande qualité, et en même temps la limite de Mank. Son thème central, c’est le père de Fincher !
- Copyright Netflix
Reprenons : l’auteur de Seven réalise Mank sur un scénario écrit par son père, il y a plus de vingt ans, avant que ce dernier s’éteigne. Et tout le sens du film peut être saisi à la lumière de l’hommage qu’il lui rend. Le metteur en scène se range derrière le scénario de son géniteur, souligne l’importance du script en général grâce à l’histoire de Mank. La mise en abyme est donc agréable à suivre : le réalisateur (Fincher identifié à Orson Welles) n’est ici qu’une ombre, qui s’appuie largement sur le génie de son scénariste (Fincher senior identifié à Mank). Intéressant de la part d’un cinéaste qui a toujours transcendé ses scénarios, avec une mise en scène particulièrement identifiable et radicale. Sa sobriété sur ce film s’explique donc.
Evidemment, l’œuvre peut se lire autrement et possède un script assez consistant. On remarquera l’habileté avec laquelle on nous fait apprécier un personnage objectivement assez antipathique. L’écriture du protagoniste est en effet une belle qualité du film, renforcée par un contraste assez saisissant. Il ne se fond absolument pas dans ce petit monde hollywoodien géré par les pontes des grands studios, plus habitués à parler politique et intéressés à soutenir leur candidat à la présidentielle par des moyens peu scrupuleux, qu’à parler cinéma. Car oui ! Mank parle beaucoup de politique. Il parle d’ailleurs beaucoup, tout court. Ce qui peut laisser quelques sensations de longueurs, avec une kyrielle de dialogues très référencés, qui peuvent par moment noyer le spectateur.
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Voilà donc un film riche, qui peut rebuter par une démarche relativement nombriliste. S’il est possible de le suivre sans connaître le contexte politique et artistique de l’époque, on vous conseille tout de même d’en lire quelques bribes. Car on peut affirmer que Mank, à certains égards, parle surtout aux initiés, comme s’il était évident de maîtriser quelques personnages historiques (William Randolph Hearst). En effet, l’histoire perd un peu en saveur et en intérêt si l’on ne connaît pas William Randolph Hearst, en particulier. Magnat de la presse, homme particulièrement puissant, il a très fortement inspiré un certain Charles Foster Kane, interprété par Orson Welles dans l’immense Citizen Kane, et il est sans doute préférable de le savoir avant le visionnage.
On notera finalement la direction des acteurs qui ne souffre d’aucun reproche, si ce n’est celui d’offrir un certain nombre de rôles « à Oscar ». On peut même reprocher à tout le long métrage de n’être qu’un film à récompenses, ce qui peut irriter et entraver son charme. En effet, si cette production est impeccable à tous points de vue, il lui manque l’essentiel, car il est sans doute trop propre, trop appliqué. Un corps, une chair, c’est ce qui lui fait défaut : malgré un travail remarquable sur les décors, difficile de croire que ce qu’on nous montre à l’écran se déroule dans les années 30-40.
L’utilisation d’une image numérique trop parfaite est en cause. Le format, l’éclatante perfection de l’image semblent contraster fortement avec la démarche du film : nous projeter dans ses années-là. Pire : Fincher s’échine à ajouter des scories visuelles, imputables aux pellicules de l’époque, à son image qui est d’une qualité absolument parfaite, ce qui peut, au mieux, interroger, au pire, énerver un spectateur qui peine à comprendre l’intérêt de tels artifices.
- Copyright Netflix
Si Fincher semble s’être amusé, difficile de considérer ce cru 2020 comme une œuvre majeure, dans une filmographie où Seven, Fight Club, The Social Network ou encore Zodiac se disputent sans doute la palme, bien loin devant ce qui restera une semi-déception.
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François Roque 6 décembre 2020
Mank - David Fincher - critique
On va mettre de côté le fait que Fincher revienne au long-métrage après 6 ans. Aucun rapport avec tout avis sur Mank : bien d’autres ont pris ou prennent encore plus de temps entre deux films. Tout comme sa dimension « affective », en raison du lien père-fils, scénariste-réalisateur et de ses difficultés durant 30 ans à le monter. Car là aussi, faut-il le savoir…
Dès le générique, avec sa typographie désuète ombrée sur fond de ciel en noir et blanc, on comprend que Fincher va nous la jouer vieux cinéma des années 40. Après trois plans d’un cortège de voitures conduisant Herman J. Mankiewicz, dit Mank, à sa résidence d’écriture du scénario de Citizen Kane, premier film d’Orson Welles, la caméra s’arrête devant un panneau : « North Verde Ranch ». Difficile de ne pas penser au film de Welles s’ouvrant également sur le panneau d’entrée d’une propriété privée. Si le spectateur n’a pas vu Citizen Kane, cette subtilité et bien d’autres, lui échapperont comme quand Mank dicte de futures scènes qui ne seront pas tournées intégralement ou passeront à la trappe ; la reprise de plusieurs plans inspiré du film ; et surtout une narration identique en flash-back sur Mank, ses déboires avec les studios, l’establishment, son alcoolisme, sa culture, sa désinvolture ou sa générosité. D’ailleurs, pour ne pas nous perdre, Fincher glisse des intertitres précisant lieux, date avec mention « Flash-back », comme le ferait un scénariste devant sa machine à écrire.
Si le film dure plus de deux heures, que l’interprétation de Gary Oldman en Mank est exceptionnelle (le reste du casting aussi), sa densité fait que les tenants et aboutissants, les enjeux profonds ne sont pas complètement ou clairement exposés. Ça cavale tellement que même certains cinéphiles, ayant pourtant en tête leurs fiches sur Louis B. Mayer, Irving Thalberg, David O. Selznick, Marion Davies, les Marx Brothers, Josef von Sternberg, la genèse du Magicien d’Oz, la virginité de Mary Pickford et autres ragots, la guerre entre studios, sans oublier le contexte géo-politique de l’époque et ce fameux milliardaire Randolph Hearst, ne sont pas à l’abri de se perdre.
Un simple exemple. L’équipe des scénaristes de Mank, est convoquée par leur boss, David O. Selznick, pour pitcher à Josef von Sternberg une idée de film qu’il leur a demandée 3 jours avant. Comme dans la séquence précédente, on a compris qu’ils n’ont rien foutu, ils partent en impro. La scène est plaisante, très bien écrite et filmée, on s’amuse de leur numéro mais au risque de ne pas saisir le foutage de gueule de ces lurons. Des cinéphiles devineront alors qu’ils pondent en roue libre un mashup hautement foireux du Frankenstein de James Whale (1931) et du Cabinet du docteur Caligari de Robert Wein (1920). Ça galope ainsi, trop même, entre allusions pour initiés, name dropping et ellipses, si bien qu’on s’ennuie parfois ou se retrouve dans des situations arrivant comme un cheveu sur la soupe, telles les obsèques de Thalberg.
David Fincher qui, pourtant sait rendre limpides des histoires tordues et très ancrées dans la culture américaine (Zodiac ou Mindhunter), cède clairement à la forme, à sa mise en scène rigoureuse, sa direction de comédiennes et comédiens dans des décors plus vrais que nature, pour livrer un objet, à la fois beau mais trop souvent obscur, quasi fétichiste, une « lettre d’amour » au monde du cinéma, parmi bien d’autres, de Wilder, Truffaut à Tarantino ou Hazanavicius, en passant par Donen, Kazan, Godard, etc., etc. Et quand on sait que Welles a réécrit une grande partie du scénario de Mank, cette pré-genèse de Citizen Kane en apparaîtrait presque comme un prétexte.
Mank n’en demeure pas moins une ode à la cinéphilie. On ne peut que saluer l’audace de Netflix de produire cette proposition avant tout artistique, dans un noir et blanc et un mixage quasi d’époque bien que tournée en numérique. Fincher pousse le vice à rajouter le rond dans un coin de l’image, la fameuse « brûlure de cigarette » sur pellicule, ce repère qui avertissait autrefois le projectionniste en cabine du changement de bobine. Mank prend alors deux autres dimensions : celle d’un nouveau règlement de compte entre Netflix et ses détracteurs puristes du cinéma en salle, et aussi de pari (risqué ou naïf ?) sur une partie de ses jeunes abonnés, moins cinéphiles, pour les encourager à explorer des zones plus anciennes de l’histoire du cinéma. Et c’est peut être là, que se trouve une autre vraie beauté du geste de Fincher.