Cruels baisers de Russie
Le 4 juillet 2011
Cette fresque ample et massive, portée par des acteurs d’une solidité à toute épreuve, renvoie face à face pouvoir et religion dans la Russie archaïque.
- Réalisateur : Pavel Lounguine
- Acteurs : Pyotr Mamonov, Oleg Yankovsky
- Genre : Drame, Historique
- Nationalité : Russe
- Date de sortie : 13 janvier 2010
- Plus d'informations : Le site du distributeur
- Festival : Festival de Cannes 1969
– Durée : 1h56mn
– Titre original : Tzar
Cette fresque ample et massive, portée par des acteurs d’une solidité à toute épreuve, renvoie face à face pouvoir et religion dans la Russie archaïque.
L’argument : 1565. Ivan le Terrible, tsar de Russie, subit une défaite dans la longue guerre qui l’oppose à la Pologne. Il ne voit autour de lui que trahison. Pour lutter contre les traîtres, il crée une garde personnelle, "les Chiens du tsar", dont le signe de reconnaissance est une tête de chien accrochée à leur selle. "Les Chiens du tsar" plongent la Russie dans un bain de sang. Effaré, le métropolite - le chef de l’Eglise russe - se réfugie dans un monastère. Ivan le Terrible croyant comprendre et interpréter les signes, voit le Jugement dernier approcher...
Notre avis : Peur de l’Histoire et de sa « grande hache » ? Hormis Eisenstein et son magnifique Ivan le terrible, projet-fleuve presque avorté parce qu’il avait déplu à Staline, le cinéma s’est peu penché sur la Russie du temps où elle était encore une terre de seigneurs et de paysans, de villages et de monastères, engagée dans des rêves de gloire aux reflets rouge sang. Pavel Lounguine découpe dans ce passé des tranches brutes de film, qui déploient toutes les tensions d’un système étouffé par sa vénération du pouvoir suprême, capable de laisser entre les mains d’un homme mi-bête mi-démon le droit de vie et de mort sur des sujets littéralement traînés dans la boue. Le tsar est un film sur la barbarie, moins celle qui serait propre à un moment de l’histoire d’un peuple encore dépeint comme misérable et archaïque, que cette forme de cruauté dont chaque individu porte une potentialité, et qui s’actualise chez quelques-uns de la façon la plus destructrice qui soit. Pyotr Mamonov incarne un Ivan sec et dément, emportant dans sa folie le destin de vies humaines aussi pliables que des brindilles, à la manière magistrale d’un Klaus Kinski fou dans Aguirre, la colère de Dieu, avec en commun cette volonté de fer prétendument visionnaire et millénariste. Face à lui, le métropolite Filipp, versant mystique et émotif de cette Russie médiévale, finalement impuissant et le visage halluciné, comme si la possibilité d’un duel entre stratégie politique et « vraie religion » était déjà tranchée dès le départ.
Le tsar multiplie ainsi, au sein d’une narration épurée qui s’articule en quatre actes ou tableaux successifs, les confrontations physiques et psychologiques, vus comme le seul mouvement à même de faire avancer le drame. On est souvent pris d’un frisson devant cet univers qui, en dépit de sa particularité historique, se situe dans le registre de la violence pure et acharnée, quasi-aveugle, qui laisse des traces et n’épargne ni le sacré, ni le profane. Pour preuve, la séquence du « divertissement du tsar », où l’on présente à Ivan des machines de torture - inspirées des principes mécaniques de la Renaissance italienne ! - entre La colonie pénitentiaire de Kafka et la machine à couper les têtes de Caligula. Mais ici, point de distance ironique ou de consolation dans l’absurde et le rire hystérique ; et c’est peut-être ce qui fait, en même temps que son ampleur, la faiblesse majeure du film. Le tsar est d’une massivité oppressante ; si la scénographie et la palette des couleurs mises en œuvre par Lounguine participent du souffle de la geste historique, quelques effets de montage un peu pompeux, la musique omniprésente et un mixage son plus que tonitruant - accentué par le fait qu’une bonne moitié des dialogues est hurlée - ont pour effet de « sonner » un spectateur sur lequel pèse déjà de tout son poids la charge émotionnelle de ce qui se passe sur l’écran. Une chose est certaine, qui n’est pas pour être si déplaisante : sous la hache de l’Histoire, Lounguine choisit délibérément de nous placer directement sous le tranchant.
- © Rezo Films
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’Boo’Radley 15 avril 2010
Tsar - la critique
Psychologie des personnages subtilement dépeinte tant par l’habile scénario sur la mystique du pouvoir que par la mise en scène intelligemment spectaculaire et ne reculant pas devant un certain soin (scène à souligner : l’habillement du tsar). Dans le rôle d’Ivan le Terrible, Piotr Mamonov fait preuve d’une présence qui confine au génie.