Le 13 décembre 2011
Alors que règne en cette fin d’année un climat d’urgence soporifique et que les discours sur la crise morale et financière ont pris le monopole du débat public, le cinéma aura choisi, en 2011, de se faire l’écho indirect de notre monde en (re)posant la question essentielle des usages limites de la fiction.
Alors que règne en cette fin d’année un climat d’urgence soporifique et que les discours sur la crise morale et financière ont pris le monopole du débat public, le cinéma aura choisi, en 2011, de se faire l’écho indirect de notre monde en (re)posant la question essentielle des usages limites de la fiction
On sait depuis toujours que le septième art prend un malin plaisir à interroger son mode de fonctionnement et son propre rapport au monde. Néanmoins, dix ans après Mulholland Drive, force est de constater que la tendance est moins à l’errance fantasmatique qu’à une confrontation détournée au réel via les formes privilégiées de la mise en abyme et de l’introspection. Que ce soit à travers les dérives paranoïaques de Nina Sayers, les projections imaginaires de Baby-Doll ou même, les tentatives expérimentales d’un Jafar Panahi pour contourner la censure et autres interdictions imposées par le pouvoir, les figures marquantes de l’année auront montré à quel point la construction de mondes imaginaires s’effectue au prix d’un isolement douloureux virant parfois à la quasi-frustration la plus morbide. Même les gamins de Super 8, au demeurant optimistes et confiants dans la faculté d’illusion du septième art - comme pouvait l’être un certain cinéma d’ailleurs très spielbergien, il y a encore quelques années - peinent à atténuer le constat plutôt pessimiste d’une difficulté à s’extraire du réel par l’intermédiaire de la représentation sans faire l’épreuve douloureuse d’un imaginaire tortueux, peuplé de motifs sombres : monstres polymorphes (Super 8), défigurations barbares (L’Apollonide), obsession du pouvoir dans sa dimension sexualisée (L’Exercice de l’Etat), crainte sourde d’un monde livré derechef aux tranchées ou à la destruction nucléaire (Sucker Punch)
On aura beau danser et chanter tant qu’on voudra : ce constat d’une mise en cause des pouvoirs du cinéma, assorti d’une tendance assez nette au huis-clos (qu’il soit "réel", comme dans l’Apollonide, Sucker Punch, Ceci n’est pas un film, ou seulement suggéré par divers procédés d’introspection, comme dans Essential Killing) aurait de quoi inquiéter la critique, tout comme un certain nombre de "tics" et de "préférences" actuelles - le regain d’intérêt pour le muet, le personnage amnésique, les scènes hyper-contemplatives - en ce qu’ils tendent à mettre en échec l’idée selon laquelle le cinéma serait capable de dire le monde autrement que par sa négation. Mais fort heureusement, d’une manière ou d’une autre, les oeuvres qui nous auront marqués cette année n’ont cessé de dialoguer avec notre histoire collective ou individuelle, nous redonnant parfois espoir dans les fables qu’ils proposaient et interrogeant bien plus que notre condition de spectateurs modernes nombrilistes : cette petite part d’humanité, fragile en nous, usée par trop d’expédients imaginaires, mais qui n’a pas encore perdu toute foi dans le vrai monde
1.Black Swan, Darren Aronofsky, USA
2.Une séparation, Asghar Farhadi, Iran
3.Super 8, J.J. Abrams, USA
4.La guerre est déclarée, Valérie Donzelli, France
5.Ceci n’est pas un film, Jafar Panahi, Iran
6.Le Miroir, Jafar Panahi, Iran - le film a été réalisé en 1997 mais il n’est sorti en France que cette année
7.L’Apollonide, Bertrand Bonello, France
8.L’exercice de l’Etat, Pierre Schoeller, France
9.Essential Killing, Jerzy Skolimowski, France-Pologne
10.Sucker Punch, Zack Snyder, USA
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