Escale d’été : Ceylan
Le 7 août 2002
Un récit de Nicolas Bouvier cheminant entre ombres et lumières. Une merveille.


- Auteur : Nicolas Bouvier
- Editeur : Folio
- Genre : Roman & fiction
Avec Le poisson-scorpion, Nicolas Bouvier réglait son ardoise à Ceylan, l’île aux mille sourires et au soleil de plomb qui lui avait fait toucher le fond. Un récit cheminant entre ombres et lumières. Une merveille.
En 1955, Nicolas Bouvier débarquait à Ceylan, le Sri Lanka d’aujourd’hui. Parti de Genève deux ans plus tôt, il venait de traverser les Balkans avec son ami Thierry Vernet, voyage qui conduisit les deux hommes jusqu’au Khyber Pass et le lecteur dans les pages de L’Usage du monde. Bouvier avait continué seul, traversant l’Afghanistan puis l’Inde afin de gagner Ceylan, où il devait retrouver son compagnon de route.
Ceylan. L’île aux mille sourires. Pas pour Bouvier, qui s’y enlise, terrassé par la chaleur et la solitude. Il lui faudra des années pour se défaire de ce séjour avec l’écriture du Poisson-scorpion, qu’il publiera en 1981. Court récit magique, troublant, envoûtant, Le poisson-scorpion est un soleil noir qui brûle les doigts autant qu’il réchauffe le cœur, un souvenir qui chemine entre ombres et lumières : "La matinée était chargée de présage et plus légère qu’une bulle", écrit l’écrivain au départ de l’Inde, avant de se souvenir bien vite qu’une île "est comme un doigt posé sur une bouche invisible et l’on sait depuis Ulysse que le temps n’y passe pas comme ailleurs". A Ceylan, plombé par le soleil, le temps ne passe même pas du tout.
Figé, immobilisé Bouvier, lui si amoureux du vent des routes. L’expérience est des plus douloureuses. Il n’en cache rien. "Voyager : cent fois remettre sa tête sur le billot, cent fois aller la reprendre dans le panier à son pour la retrouver presque pareille. On espérait tout de même un miracle alors qu’il n’en faut pas attendre d’autre que cette usure et cette érosion de la vie avec laquelle nous avons rendez-vous, devant laquelle nous nous cabrons bien à tort."
Mais sur cette île où "le soleil gagne à tous les coups", Nicolas Bouvier parvient à remonter, patiemment, sa capacité d’émerveillement lui sauvant la mise. Il observe la vie autour de lui, celle de ses voisins, celle des insectes grouillant dans sa chambre qu’il baptise ses "pensionnaires" et qui lui font découvrir un monde étonnant. Il trouve dans la magie noire qui règne sur les lieux une source d’anecdotes fascinantes. Il retranscrit le tout dans une langue superbe, riche, preuve qu’avant d’être un voyageur, il était un écrivain.
Au fil des pages le prisonnier se libère, "tout seul au coeur de [son] petit enfer", porté par un humour et une sagesse qui sont sans doute deux des biens les plus précieux du voyageur. Et qui lui permettent de clore son récit sur une citation de Louis-Ferdinand Céline : "La pire défaite en tout c’est d’oublier et surtout ce qui vous a fait crever."
Nicolas Bouvier, Le poisson-scorpion, Folio, 1996, 172 pages, 4,60 €
tom Buisson 31 mars 2022
Le poisson-scorpion - Nicolas Bouvier
Super livre