Le pas du chat noir

Suivre le pas du chat noir, c’est découvrir les niches où, lors de ses tranquilles flâneries, il aime à s’étendre avec un félin plaisir pour jouir de l’écoulement du temps. A chaque halte de sa pittoresque promenade se dessine une atmosphère feutrée que le frôlement des notes dépeint par touches légères, avec une finesse impressionniste. Le spectacle y convie à se laisser porter au gré d’une onde paisible vers un ailleurs extravagant où l’on peut se pénétrer de l’aura bénéfique de "l’arbre qui voit", une terre de rêveries mystérieuses où l’esprit s’affranchit de ses obsessions pour laisser place à la nostalgie ou à une douce mélancolie, et retrouve une candeur oubliée depuis l’enfance.

Délicat croisement de poésies arabe et occidentale, à la fois savante et populaire, exotique et classique, la musique de ce trio aussi singulier qu’émouvant respire une pénétrante sagesse et une chaleur généreuse qui s’épanchent au fil de ses mouvements ondoyants, remplissant les silences et les pauses d’un souffle presque palpable. Fruit d’une sensibilité et d’une sensualité sans pareil, elle réveille des impressions profondes et suggère une humeur méditative qui affecte les plus secrets territoires de l’intimité.

La vision la plus touchante est certainement celle de Leïla au pays du carrousel, dont le trio nous livre deux versions très proches. L’introduction au piano installe dès les premières notes l’enchantement puéril qui berce ce rêve de Leïla dans lequel le souvenir magique du carrousel se métamorphose en un univers féerique. L’accordéon fait alors une entrée discrète, enlumine les phrasés du piano et prépare avec lui l’avènement d’une valse de mélodies où chacun des trois instruments complète le mouvement des autres dans une solidarité musicale inouïe : c’est le clou de cet album et l’un des plus prodigieux moments musicaux qu’il m’ait été donné d’entendre.