Marx la menace
Le 21 décembre 2024
« Il n’y a pas de bonheur sans révolte » nous dit Jenny Marx ; or Raoul Peck prend soin de ne pas inclure la révolte dans son film. Vous êtes prévenu : Le Jeune Karl Marx n’est pas un feel good movie... c’est donc à chacun de faire l’effort de se révolter !
- Réalisateur : Raoul Peck
- Acteurs : Olivier Gourmet, August Diehl, Alexander Scheer, Vicky Krieps, Stefan Konarske
- Genre : Biopic, Historique, Drame social
- Nationalité : Français, Allemand
- Distributeur : Diaphana Distribution
- Durée : 1h58mn
- Date de sortie : 27 septembre 2017
- Festival : Festival de Berlin 2017
Résumé : 1844. De toute part, dans une Europe en ébullition, les ouvriers, premières victimes de la “Révolution industrielle”, cherchent à s’organiser devant un “capital” effréné qui dévore tout sur son passage. Karl Marx, journaliste et jeune philosophe de vingt-six ans, victime de la censure d’une Allemagne répressive, s’exile avec son épouse Jenny à Paris où ils vont faire une rencontre décisive : Friedrich Engels, fils révolté d’un riche industriel allemand. Intelligents, audacieux et téméraires, ces trois jeunes gens décident que "les philosophes n’ont fait qu’interpréter le monde, alors que le but est de le changer". Entre parties d’échecs endiablées, nuits d’ivresse et débats passionnés, ils rédigent fiévreusement ce qui deviendra la "bible" des révoltes ouvrières en Europe : "Le Manifeste du Parti Communiste", publié en 1848, une œuvre révolutionnaire sans précédent.
Critique : À peine quatre mois après nous avoir passionné pour le travail de l’essayiste afro-américain James Baldwin dans son excellent documentaire I am not your Negro, Raoul Peck (accessoirement président de la Fémis quand il ne tourne pas) revient sur la voie de la fiction pour se pencher sur le plus influent de ses prédécesseurs dans le domaine de la théorisation de la lutte sociale.
Comme le titre l’indique sobrement, Le Jeune Karl Marx se concentre sur une époque de la vie du philosophe allemand antérieure à celle des sempiternelles images où il apparaît derrière son épaisse barbe blanche tel qu’on le voit dans les livres d’Histoire.
Rassurez-vous, il ne s’agit pas de son enfance, ni de ses études de droit, mais de la période entre 1842 et 1848, où il avait entre vingt-cinq et trente ans. L’intérêt de couvrir cette partie de sa vie est que c’est à ce moment qu’il a dépassé les statuts de théoricien utopiste pour s’approcher de ceux d’économiste matérialiste et de leader politique. Telle qu’elle est racontée dans le film, cette bascule se fait grâce à la rencontre avec un autre auteur engagé de son âge, l’Anglais Friedrich Engels. L’approche choisie par Peck est justement de démontrer que c’est de la complémentarité entre les deux hommes, mais aussi avec leurs femmes respectives, qu’a pu émerger le modèle de pensée qui est, encore aujourd’hui, la base de toutes les grandes révolutions sociales. L’intérêt d’un tel postulat est de tordre le cou à cette notion de culte de la personnalité qui justement gangrène ces combats collectifs au nom du communisme.
La limite du dispositif mis en place par Peck est cependant la place occupée par les dialogues didactiques entre ces idéologues. Ces nombreuses conversations, prononcées dans trois langues différentes, autour des grandes théories économiques de la révolution industrielle, va assurément en rebuter plus d’un. Pour qui ne s’intéresse pas un minimum à l’Histoire européenne, les noms de Pierre-Joseph Proudhon et de Wilhelm Weitling ne diront rien, et leurs réflexions politiques moins encore. Et pourtant, le spectateur qui fera l’effort de les écouter attentivement, et de les mettre en parallèle avec la condition précaire des ouvriers de l’époque, pourra aisément faire des ponts avec la situation actuelle et d’en conclure à l’extrême modernité des écrits de Marx. On peut notamment citer sa réplique désenchantée « Aujourd’hui, celui qui n’a rien n’est rien » qui semble faire écho à un discours prononcé par un certain Emmanuel Macron cent soixante-dix ans plus tard.
Fort heureusement, Raoul Peck et son scénariste Pascal Bonitzer (avec qui il a déjà élaboré le biopic éponyme de Patrice Lumumba) n’ont pas limité leur film à une série de discussions harassantes. Le cœur reste l’épopée politique de Marx et Engels et la façon dont, en à peine quatre ans, ils sont parvenus à acquérir une influence idéologique dans toute l’Europe. En cela, la construction du Jeune Karl Marx s’approche des codes classiques du genre. De plus, et au-delà de sa mise en scène, relativement classique, il reste toujours cette approche originale qui consiste à ne pas se focaliser sur le rôle-titre. De la sorte, les axes narratifs consacrés respectivement à Marx et Engels profitent d’un montage alterné, tandis que les nombreuses scènes où ils sont ensemble acquièrent une certaine émotion dans la sincérité avec laquelle est filmée leur amitié.
Le résultat s’apparente ainsi tout aussi bien à une bromance (le plan final qui les réunit sur une plage pourrait être celui d’une comédie romantique !) qu’à un brûlot politique intemporel. Cet étrange mélange est le fruit d’une excellente réflexion sur la façon dont une révolution mondiale naît invariablement d’une remise en question à l’échelle individuelle. Cette observation à hauteur d’homme profite d’un parti pris qui, là encore, va apparaître comme une limite à beaucoup : celui de se concentrer sur une période où les tensions sociales montent jusqu’à l’implosion et de s’achever avant celle-ci. Voir le peuple galvanisé par la rhétorique marxiste aurait en effet été la meilleure façon de la voir se concrétiser, et peut-être la comprendre davantage.
Ce manque à gagner renvoie l’idéologie marxiste à ce que Marx reprochait justement aux théories communistes de ses contemporains : celle de n’être qu’une abstraction utopique et inapplicable. Les spectateurs non adeptes de la cause marxiste avant le film n’ont donc que peu de chance d’en sortir davantage convaincus. Raoul Peck n’a jamais cherché à établir un objet de propagande, on ne peut donc pas lui reprocher ce point. Il est cependant impossible de nier les caractères humaniste et moderne qu’il parvient à insuffler à cette révolte sociale qui couve depuis la révolution industrielle. L’espoir est là, à chacun de s’y accrocher s’il veut y croire.
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noufy 8 octobre 2017
Le jeune Karl Marx - Raoul Peck - critique
je crois qu’il y a eu un petit bug dans la matrice au niveau de votre avis, marx n’a pas connu la seconde guerre mondiale, ni l’après guerre d’ailleurs, l’erreur est humaine mais ça serait bien de le rectifier tout de même ;) ( 9 et 10 eme ligne )