La poussée d’Archimède
Le 16 avril 2010
Blues en mineur pour cette rêverie suspendue entre New-York et Haïti, signée de l’ancien ministre haïtien de la Culture, le trop méconnu Raoul Peck.
- Réalisateur : Raoul Peck
- Acteurs : Jean-Michel Martial, Geno Lechner, Bob Meyer
- Genre : Drame, Romance
- Nationalité : Haïtien
- Editeur vidéo : Les Films du Paradoxe
- Date de sortie : 1er juin 1998
- Plus d'informations : Le site de l’éditeur DVD
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– Durée : 1h36min
– Date de sortie DVD : le 4 mai 2010
Blues en mineur pour cette rêverie suspendue entre New-York et Haïti, signée de l’ancien ministre haïtien de la Culture, le trop méconnu Raoul Peck.
L’argument : Chase Dellal n’était qu’une petite fille quand elle a quitté Haïti. Le passé n’est pour elle qu’un cauchemar d’enfant jamais élucidé. Médecin légiste de la municipalité de New York, elle côtoie chaque jour les victimes d’une violence qui atteint les plus faibles, et défend son intégrité dans un monde rongé par une sourde corruption. Elle est lasse de sa liaison confortable mais sans issue avec Ralph, un homme marié, juge à la Cour de l’Etat de New York et politicien ambitieux. Tout bascule quand Dimitri se manifeste, après 10 ans de silence. Diplomate du gouvernement haïtien en exil, il subit les humiliations réservées aux Noirs, et le mépris des officiels américains. Chase et lui retrouvent l’amour qui les avait liés dans leur jeunesse. C’est peut-être cet amour qui leur permettra à tous deux de reprendre le fil de leurs vies...
Notre avis : La chair est partout dans Corps plongés : c’est celle des cadavres que le médecin légiste, Chase, examine pour faire avancer le travail des policiers ; celle des amants qui s’étreignent parfois sans plaisir ; celle des Noirs et des Blancs enfin, et que certains érigent en prétexte pour justifier leurs privilèges de domination. Par la richesse de ses thèmes et l’extrême pudeur avec laquelle ceux-ci sont abordés, le film de Raoul Peck procède par allers-retours entre le sentimental et le politique, de la même manière que le récit va et vient entre le présent vécu (New-York à la fin des années 1990) et le souvenir d’enfance (Haïti, dans une époque aux couleurs tranchées). Le cinéaste redouble dans l’image la discrétion du scénario, qui laisse largement enfoui le passé des personnages, pour ne faire entrevoir que la partie émergée de leurs vies : à l’écran, les figures demeurent souvent dans la pénombre, car les apparitions en pleine lumière semblent toujours s’accompagner d’une forme de violence (là encore, le décor de la morgue et ses néons verts fonctionne comme le symbole habile de rapports humains refroidis et stériles). L’une des scènes les plus fortes du film, et qui refait surface à plusieurs reprises sous forme de flashes, met en scène un banal fait divers (une femme noire qui refuse de payer pour son verre de lait tourné se fait abattre par un policier dans un café), chronique du racisme ordinaire à laquelle Peck confère une véritable ampleur visuelle.
Corps plongés fascinera les amateurs d’esthétiques épurées et pourtant travaillées à la façon d’une dentelle, dans le détail et le tour d’aiguille. La voix-off, qui ne suit pas à proprement parler un récit linéaire, fait signe vers l’écriture littéraire ou théâtrale, jusque dans le ton de Geno Lechner, personnage tchekhovien de femme puissante dans un univers plus implacable encore. On regrette parfois que le parti pris, assumé par Peck, de privilégier l’esquisse sur la profondeur ne permette pas à la comédienne de trouver le bon degré de mystère et de complexité à donner à la figure de Chase ; d’autant plus qu’autour d’elle, les autres protagonistes gravitent comme des ombres, à l’exception de Jean-Michel Martial, dont la voix de basse et le regard grave suffisent à construire la stabilité de son rôle. A lui seul, il incarne Haïti, dont le territoire et la lumière parcourent le récit du film et son étoffe même, comme le symptôme amer d’une maison natale où cohabitent les souvenirs de joie et ceux de peine ; l’île lointaine devient un personnage à part entière, adoptant la forme d’un fantôme venu visiter l’univers urbain de New-York au sein d’un cinéma apatride. Le milieu dans lequel Raoul Peck plonge ces corps, c’est peut-être celui, infini, de la nostalgie qui s’empare de l’individu moderne ; ce qui fait de ce film en mineur une ballade mélancolique et poétique, un peu perdue entre passé et présent.
Le DVD
C’est fait, on peut enfin découvrir du cinéma haïtien en DVD, et il faut saluer ce progrès ; reste que l’édition de Corps plongés est minimaliste au possible : dommage pour un cinéaste qui a pourtant tant à dire...
Les suppléments
Ni interview, ni filmographie, ni bande-annonce ou même livret : il faudra se contenter du seul film.
Image
Malgré une colorimétrie plutôt bonne, qui fait ressortir la beauté de la photographie (particulièrement en extérieurs), l’image reste granuleuse tout au long du film. Point essentiel : le film, initialement tourné pour la télévision, ne peut s’apprécier qu’au format 4/3.
Son
On regrette un peu le manque de relief de la seule piste disponible, une stéréo timide où les voix se perdent dans l’ensemble du mixage.
Galerie Photos
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