Master of puppets
Le 28 février 2007
Lars von Trier, en bon démiurge cynique, tire habilement les ficelles d’une comédie désespérée sur le genre humain. Violemment lucide.
- Réalisateur : Lars von Trier
- Acteurs : Jens Albinus, Peter Gantzler, Fridrik Thor Fridriksson, Peter Ganzler
- Genre : Comédie
- Nationalité : Danois
- Distributeur : Les Films du Losange
- Durée : 1h40mn
- Reprise: 12 juillet 2023
- Titre original : Direktøren for det hele
- Date de sortie : 28 février 2007
– Reprise en version restaurée : 12 juillet 2023
Résumé : Le propriétaire d’une société informatique décide de vendre son entreprise. Le problème, c’est que lors de la création de celle-ci, il avait inventé de toutes pièces un président, se retranchant derrière ce personnage fictif au moment de prendre des décisions impopulaires. Or, les potentiels acheteurs veulent négocier avec ce président... Le président fait alors appel à un acteur au chômage pour jouer ce rôle. Le comédien va découvrir qu’il est un pion dans une histoire qui va mettre son (manque de) sens moral à rude épreuve.
Critique : Il faut toujours se méfier de Lars von Trier. Ne jamais croire ses explications simplistes ou ses théories fumeuses. Elles sont en général le fruit d’une provocation maligne inhérente à tous les grands manipulateurs. De fait, quand il nous jure en personne, enfin son reflet (il y a d’ailleurs une allusion au Miroir de son maître Tarkovski), que son film n’est qu’une comédie inoffensive, un simple moment de détente qui ne nécessite aucune réflexion de la part du spectateur, nous esquissons tout naturellement un sourire entendu. La suite nous donnera raison.
Au premier abord, concédons tout de même que le film baigne dans une apparente décontraction qui tendrait à confirmer les dires du Danois. Il s’agit d’une œuvre aux moyens restreints, tournée dans sa langue maternelle et qui intervient comme une pause en plein milieu de sa trilogie sur les États-Unis (Dogville, Manderlay et bientôt Washington). Le pire est que Lars von Trier nous annonce sa défaite cuisante face aux problèmes de cadrage et qu’il s’en remet maintenant à un nouveau procédé au nom subtilement idiot, l’Automavision.
- © Les Films du Losange
Une "vision automatique" donc, qui sélectionne de manière totalement aléatoire la valeur des plans pour filmer une scène. Bref on imagine ainsi notre homme en chemise à fleurs et bermuda sur le plateau de son film, un cocktail dans une main tandis que l’autre est occupée à déclencher l’Automavison... Ce n’est bien sûr pas aussi simple que cela. Le caractère arbitraire de cette nouvelle machine permet avant tout de faire sauter la triste et terne géométrie bureaucratique, si l’on peut dire, créant un décalage en adéquation avec la folie douce des personnages. Une sorte de décadrage des "cadres" d’entreprise. Rien n’est innocent chez von Trier. Tout se rapporte au contraire à la perte de cette innocence. Ces employés légèrement cintrés, soudés les uns aux autres car en proie à un désenchantement croissant, sont naturellement les cousins des Idiots. Et si la figure du dominant change (Ravn, Kristoffer, Dieu, ou simplement une pure Idée platonicienne), eux restent toujours les dominés. Ce ne sont que des marionnettes dans une prison de verre. Cette idée est renforcée par les apparitions du cinéaste lui-même. Il se pose en narrateur démiurge, jetant son regard divin sur sa maison de poupées. C’est "le directeur de tout" (traduction du véritable titre), le directeur au carré.
- © Les Films du Losange
Le film est donc parfaitement maîtrisé. L’expérience et ses résultats sont très clairs. Kristoffer, acteur médiocre qui rêve de notoriété, se voit confier le rôle de sa vie. Au sein de l’entreprise, il va goûter au pouvoir et à ses désagréments, peser le pour et le contre, réparer des injustices ; mais au final il préfère à la grandeur d’âme, la grandeur (illusoire) de son talent. Triste constat néanmoins servi par un humour féroce et des dialogues écrits au détergent. Kristoffer est le révélateur de l’aversion cynique de Lars von Trier pour certains de ses congénères. Le débat va sans doute être relancé : est-ce de la lucidité cruelle ou de la misanthropie écœurante ? Nous optons plutôt pour la première option. Choisissez votre camp. En tous cas, une chose est sûre, Patrice Chéreau va encore détester (cf. Dogville à Cannes lorsqu’il était président du jury). Tant mieux.
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Norman06 24 avril 2009
Le direktør - Lars von Trier - critique
L’humour (même décalé) sied moins au grand cinéaste que le drame romanesque (Breaking the Waves) ou la pure expérimentation (Element of Crime, Dogville). Une curiosité dans l’oeuvre d’un cinéaste que l’on a connu plus inspiré.