Sœur Patrie
Le 5 octobre 2004
Entre amour et haine, une confrontation ambiguë qui en dit long sur l’Autriche d’avant et d’aujourd’hui.



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L’œuvre de l’Autrichien Hans Lebert est traversée par la collaboration de son pays avec l’Allemagne nazie. En disséquant les retrouvailles houleuses d’un frère et sa sœur après la guerre, Le cercle de feu se révèle un trésor d’ambiguïté où le bien et le mal sont intrinsèquement liés.
Neuf ans après avoir quitté son Tyrol natal, le capitaine Jershek retourne dans son petit village de Styrie. Il y retrouve sa demi-sœur Hilde. Mais on est loin de l’effusion fraternelle : à l’image de ce qu’a été la relation des deux protagonistes avant, les retrouvailles sont tourmentées et équivoques. L’"avant" dont il est question, c’est la période qui précède la guerre, une guerre dont les cicatrices sont encore à vif. Et pour cause... Lui, antifasciste convaincu qui a rejoint l’armée anglaise dès 1938, un acte que Hilde assimile à de la haute trahison. Elle, ancienne kapo d’un camp de concentration et partisane de l’idéologie hitlérienne.
Dès lors, les Alpes deviennent le théâtre d’un dialogue qui s’annonce difficile et douloureux. Et finalement, qu’est venu chercher Jershek dix ans après, dans ce pays qui n’est plus le sien, ce pays qui s’est perdu lui-même, comme il le souligne si justement. Est-il l’officier qui veut faire avouer à une ex-cheftaine ses crimes de guerre ? Ou le frère éperdu d’amour pour une demi-sœur qui le trouble, marqué du souvenir d’une relation à la frontière de l’inceste. Mais la nature humaine est ainsi faite que les deux personnalités sont indissociables, sans que l’une ne parvienne à prendre le pas sur l’autre. Le huis clos oscille en permanence entre amour et haine, douceur et cruauté.
La plume de Hans Lebert, empreinte de lascivité où la poésie sublime flirte avec l’horreur indicible, n’est pas sans évoquer la musique de Wagner. Et sous couvert de la confrontation entre Jershek et Hilde, le lyrisme de son écriture souligne la difficulté pour l’Autriche contemporaine à se reconstruire. Une Autriche peu encline à regarder son passé dans les yeux, et dont l’amnésie peut inquiéter. Mort en 1993, Hans Lebert n’aura pas vu l’arrivée de Jörg Haider au pouvoir, une chance peut-être pour celui que la collaboration de l’Autriche avec le régime nazi a obsédé toute sa vie.
Hans Lebert, Le cercle de feu (Der Feuerkreis traduit de l’allemand (Autriche) par Bernard Kreiss), Ed. Jacqueline Chambon, 2004, 312 pages, 25 €