La tournée des grands espaces

Même si cette tournée arrive dans la foulée de L’Imprudence, il ne serait pas juste de dire qu’elle illustre cet album. Au contraire, elle aurait même pour effet de désacraliser un disque certes parfait de bout en bout, mais qui se présente comme un véritable travail de studio. Sur scène, les chansons qui en proviennent gagnent miraculeusement en chair et en vie, Le dimanche à Tchernobyl étant bouleversant, Mes bras bénéficiant de nouveaux arrangements tout en délicatesse.

Mais paradoxalement, ce sont les chansons de Fantaisie militaire qui ressortent grandes gagnantes de l’arène. Peut-être desservies sur l’album par une production clinique, elles explosent ici, et proposent aux musiciens des canevas sur mesure pour des enchaînements calme/fureur/calme que Bashung sait parfaitement exploiter. Ainsi, Samuel Hall est rageur à souhait, et La nuit je mens, emmené par un harmonica sauvage et enveloppé dans des cordes opportunes, se révèle être une des plus grandes chansons du répertoire foisonnant du chanteur. Chanteur qui ne rechigne désormais plus à revisiter ce "back catalogue", comme on dit, avec des versions enthousiastes de Vertige de l’amour, What’s in a bird ou Ma petite entreprise.

Au final, celui qui, après avoir surfé sur toutes les déferlantes rock, est venu se jeter sur les récifs de la chanson française pour mieux en redessiner les côtes, celui qui est considéré comme un rescapé depuis un bout de temps et comme un demi-dieu depuis L’Imprudence, se redonne un peu de chair, de sang et de sourire devant les yeux d’un public ravi du changement. Alain Bashung prouve ainsi qu’en concert en tout cas, sa personnalité d’exception n’écrase pas ses chansons, n’occulte pas ses musiciens, et n’empêche pas la communication avec ce public qui lui fait même dire à l’issue des applaudissements qui ponctuent Fantaisie militaire , "Vous me troublez". Preuve qu’il est bien humain, puisque comme nous il ne reste pas insensible à un concert de Bashung et se trouble, rouge de plaisir !