La dernière tentation de Mel
Le 15 mars 2007
Naïf inconscient ou réac pervers ? On hésite. Mais on se laisse prendre au jeu.
- Réalisateur : Mel Gibson
- Acteurs : Monica Bellucci, Jim Caviezel
- Genre : Drame, Historique
- Nationalité : Américain
- Editeur vidéo : TF1 Vidéo
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– Durée : 2h07mn
– Titre original : The Passion of the Christ
– Interdit aux moins de 12 ans
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Naïf inconscient ou réac pervers ? On hésite. Mais on se laisse prendre au jeu.
L’argument : Les douze dernières heures de la vie de Jésus de Nazareth.
Notre avis : On aura définitivement tout entendu sur La Passion du Christ, le nouveau chef-d’œuvre en péril de Mel Gibson : qu’il ne serait jamais visible en France ; qu’il provoquerait des morts en pleine projection ; que son antisémitisme le rendrait nauséabond ainsi que son aspect racoleur excessif et la haine délétère qu’il véhicule ; qu’il proposerait une succession de scènes gorissimes à faire pâlir les premiers films de Peter Jackson... Bref, l’horreur absolue. Fatalement, une œuvre qui retrace les douze dernières heures du Christ, bombardée de séquences de flagellation aussi interminables qu’insupportables, ne peut que susciter la polémique. Qu’on le veuille ou non, d’un point de vue cinématographique, c’est un événement.
Autant le dire immédiatement, le film commence très mal. Mise en scène ostentatoire qui abuse de ralentis et d’afféteries formelles déplacées ; apparitions ectoplasmiques du plus mauvais goût ; acteurs surjouant à la limite du cabotinage... Heureusement, passé un premier quart d’heure inquiétant où la fiction semble aller de Charybde en Scylla, Gibson se résout à contenir ses tics visuels, même s’il n’hésitera pas à les réutiliser par la suite. A la manière de son Jésus auquel il s’identifie un peu trop, le réalisateur mène son chemin de croix sans se soucier des réactions et en espérant sincèrement délivrer un message de paix. Naïf inconscient ou réac pervers ? On hésite. Mais on se laisse prendre au jeu.
Loin du pétard mouillé made in Hollywood, La Passion du Christ est tout sauf un film aseptisé : c’est cru, choquant, très réaliste et sanglant. Son refus drastique du consensus mou appelle le respect. Aux antipodes des scènes de flagellation, les flash-back explicatifs (à l’instar de la lapidation de Marie-Madeleine) paraissent en comparaison plus soft et viennent aérer un récit claquemuré dans sa propre fureur. Pendant tout le film, aucun temps mort, aucune respiration, nul besoin de comprendre les dialogues en araméen : les images possèdent une force inouïe, à tel point qu’on est tenté d’oublier les sous-titres. Ce qui se passe à l’écran est une pagaille constante à la fois externe et interne, une descente aux enfers convulsive et radicale qui prend aux tripes et finit par les arracher. Dans le rôle du Christ, Jim Caviezel, mutique et battu, fait montre de suffisamment de sobriété pour mettre en valeur la déchéance et la souffrance d’un être qui ne cesse de prêcher le pardon.
Question chemin de croix, il n’est pas interdit de préférer La dernière tentation du Christ (autre grand scandale) avec lequel le parallélisme est constant et parfois plombant. Là où Scorsese optait pour la fable allégorique, envoûtante, sensuelle, complexe, étoffée et subtile, Gibson prend son sujet à bras le corps sans recul ni finesse. Mais cela fonctionne à double tranchant : les prises de risque sont telles qu’il est impossible de détester le film ou même de remettre en question son efficacité. S’il peut ressembler à une propagande, c’est sans doute à cause de sa subjectivité imposante et de sa démonstration outrancière, notamment en ce qui concerne les personnages. On trouve exactement les mêmes écueils dans Braveheart, son précédent film, excellent, où le sort des Anglais était tout aussi discutable. Dans La Passion du Christ, les Juifs sont assimilés à des moutons de Panurge, manipulés, tandis que les Romains sont décrits comme des bêtes aux faciès désincarnés et aux expressions débiles.
En sursignifiant les situations, Gibson confère à son récit un style emphatique et épique où tous les traits sont amplifiés. Cela peut provoquer des malentendus regrettables et des accusations à l’emporte-pièce. De ces risques, le cinéaste en était conscient dès le départ. Cette surenchère à la fois visuelle (beaucoup d’effets) et musicale (pompeuse) confère une puissance émotionnelle hallucinante à l’ensemble, si bien qu’on ne reste jamais insensible à la tragédie qui se déroule sous nos yeux. A travers cette chute vertigineuse, Gibson édifie un audacieux exercice d’exorcisme en même temps qu’une solide parabole sur la barbarie, la haine ordinaire, l’intolérance et la cruauté. Une parabole douloureuse car intemporelle.
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