Portrait de l’anti-macho d’aujourd’hui, sur fond de médiocrité sociale et familiale. Pajak s’essaie au "vrai" roman sans parvenir à convaincre.

Bobèche baise et boit. Bobèche est père de famille et marié à Auque. Il s’ennuie au travail. Il n’aime pas sa famille où les rituels de l’alcoolisme remplacent la conversation. Il ne trouve plus de réconfort dans les vieilles amitiés éthyliques, même au Japon. Quant au sexe, il y a longtemps qu’il ne ressemble plus à l’amour...
Frédéric Pajak publie depuis quelques années des livres singuliers, d’un genre et d’un style inédits : l’émouvant Chagrin d’amour autour du personnage de Guillaume Apollinaire, Humour où Joyce trouve ses couleurs, et les livres où l’auteur met en scène son propre passé en regard de son admiration et de son questionnement autour de Nietzsche - L’immense solitude, Nietzsche et son père. Rappelons, pour les chanceux qui ne le savent pas encore, que ces livres-là sont des vrais bonheurs, entre une histoire littéraire d’un type nouveau, des albums illustrés dans des noirs magnifiques et une variation sur l’autobiographie qui n’a pas son égal dans notre littérature.
Aujourd’hui, Pajak choisit le texte, le texte seul - contre le dessin peut-être, c’est à lui de le dire. Franchit-il le pas de la "vraie" littérature ? Gageons plutôt qu’il choisit, momentanément, un autre mode d’écriture. La guerre sexuelle est un roman d’aujourd’hui, où la médiocrité de l’homme moderne - animal urbain triste et vaguement sexué dont Houellebecq a su tirer parti -, est racontée avec force évocations du "monde de l’entreprise" aussi triste, cruel et vain que clui du "couple avec enfant" ou de la "famille" - évidemment inutile et nuisible. À coup de retours en arrière sur son passé de jeune adulte, de père, d’époux, d’amant, le narrateur raconte quelques rencontres, quelques ébats et beaucoup d’ivresses. Portrait d’un homme moyen dans une société méchante - la "couille molle" pour théoriser un peu, avec une ironie pas toujours très subtile ("Nous étions seuls dans l’énormité de la nuit et je bandais encore") - La guerre sexuelle prétend sans doute rendre compte des difficultés du personnage le plus en vogue dans notre début de millénaire, l’anti-macho, comme on disait hier "anti-héros" ; mais cette "guerre" tourne court.
On peut regretter que l’économie dont faisait preuve Pajak dans ses livres d’images ne soit plus la règle : si l’écrivain qu’il est parvient encore à décrire un monde dans toutes ses contradictions, entre la beauté et l’horreur ordinaire, il achoppe aussi sur un art du roman qui ne trouve ni son rythme (ainsi d’une descente aux enfers alcoolique à Kyoto, dont l’intérêt nous échappe) ni son style (vaguement cauchemardesque dans les derniers chapitres après un réalisme de bon aloi au début). Décidément, il est urgent d’attendre : le retour de "notre" Frédéric Pajak, celui du Chagrin d’amour et autres merveilles d’hier.